Le bal des médailles olympiques est ouvert… Avec la frénésie des jeux mondiaux, le Brésil a le vent en poupe.
On vante ses plages, la diversité de ses paysages depuis le métissage et le caractère émancipé de Rio aux rives de l’Amazone, du Pantanal, véritable écrin de biodiversité aux petits paradis insulaires de la Costa Verde, des majestueuses d’Iguaçu jusqu’aux grands espaces du Nordeste. On glorifie sa musique et sa joie de vivre. Mais bien entendu, on occultera toujours l’action des forces de l’ordre dans les quartiers populaires ou la répression des minorités menées en amont pour préparer « le terrain » avant l’avènement des jeux internationaux.
Mis sous silence également, son voisin, le Vénézuela. Embourbé dans une longue crise économique et politique depuis l’arrivée au pouvoir du président Maduro, le pays de l’or noir subit aussi violences et pénuries.
Pourtant, ce territoire aux ressources naturelles exceptionnelles regorge de richesses et de charmes authentiques… Autant d’atouts qui ont su me séduire et que j’ai pu rapporter dans mes bagages lors de mon dernier grand et long voyage au long cours.
Comme dans les rêves, les premiers souvenirs surgissent comme des flashs. A commencer par la prise de la température dans les rues du centre historique de Ciudad Bolivar, toutes pavées de belles américaines directement importées de Cuba… Echange de bons procédés (politiques) oblige, l’ère du chavisme n’est pas totalement révolue malgré la prise de pouvoir de nouveau président. Au pied de ces façades colorées demeurent quelques vestiges du passé en mémoire de Simon Bolivar, le « Libertador » (protecteur) et de Francisco de Miranda, le « séducteur », toutes deux des figures charismatiques et révolutionnaires qui ont marqués le pays.
Dans une moiteur « muy caliente », le décor est planté dès notre arrivée… Voici le cadre idéal pour déguster les premiers verres de rhum ambré local les pieds en éventail au bord de la piscine, alors que les rythmes endiablés des derniers hits de cumbia et de merengue font écho aux klaxons tonitruant des vieilles tôles rutilantes ou bien aux refrains que l’on reconnait à chaque coin de rue et dans tous les transports en commun.
A quelques vols d’oiseau de la cité coloniale de Ciudad Bolivar, appelée aussi Angostura, en direction du grand sud et de la frontière brésilienne, la nature se charge de suspendre le temps dans un tout autre tempo… Bienvenue en terre amérindienne pour une aventure fluviale immersion de 5 jours où l’aventure se décline en camaïeu de verts aussi profonds que lumineux.
Dormir en hamac sous des carbets – ces grandes maisons communautaires typiques des régions amazoniennes – aménagés sur les berges du fleuve, pêcher le piranha dans les eaux couleur « Coca-Cola », admirer un vol de perroquets au-dessus des palmiers moriches, s’émerveiller du ballet aérien d’une colonie de papillons aussi blonds que le soleil sur un banc de sable protégé des courants ou tout simplement se baigner dans les cascades secrètes aux eaux relaxantes : la descente du Rio Caura concrétise bien plus d’un rêve de robinsonnade dans une carte postale aux airs de bout du monde…
Les moments de contemplation et d’immersion dans cette nature qui déborde de vie sont sublimés par les instants de partage qui s’instaurent naturellement autour de notre campement et dans les villages où la lancha peut encore s’amarrer, sans pour autant prendre des allures d’expédition scientifique, quoi que…
Dans ce coin de verdure, les indiens Sanema et Yekuana dévoilent avec pudeur traditions et croyances, tandis que l’exploitation aurifère illégale et le commerce de pétrole prospèrent à la frontière, à quelques heures de marche seulement de ces villages reculés.
Point d’orgue du voyage, l’arrivée à El Playon marque profondément les esprits. Alors que la lumière se pare de contrastes francs et vifs, l’apparition de ce campement Yekuana apparaît comme un mirage après de longues heures de navigation.
Devant nous, El Playon et ses bras de sable doré étincelant sous le soleil de fin de journée au pied d’une série de chutes d’eau rafraîchissantes. Majestueux El Playon campé sur les rives du Caura, lorsque le défilé des lanchas se reflète en ombre chinoise sur une eau tiède et plate, à l’heure où tout le village vient se détendre sur la plage.
Eldorado des chercheurs d’or, ce campement servait autrefois de port de commerce pour l’exportation de la « balata » (caoutchouc national) et de la « quina », une liane dont on récoltait la quinine, molécule connue pour soigner la malaria.
Aujourd’hui, le souvenir de cette apparition reste presque plus émouvant encore que le moment de quitter ce coin de paradis aussi mystique qu’attachant.
Et pourtant, loin du brouhaha permanent de la jungle, la langueur de la Côte Caraïbes ne manque ni d’attraits ni de caractère… La baie colorée de Santa-Fé envoûte par ses odeurs iodées et ses couleurs délavées. Son front de mer animé expose les vestiges de poissons fraîchement péchés. Parfaitement calibrés, ces spécimens locaux venus de la mer rendent leur dernier souffle devant un rassemblement de pêcheurs au torse ébène sculpté dans le marbre.
Mais Santé Fé, c’est aussi cette ambiance familiale et bon enfant qui s’empare de la plage en fin d’après-midi. Jeux, baignades, retrouvailles : la plage offre plus d’une occasion de rencontres et d’échanges toujours gratifiés par des éclats de rire et des sourires spontanés.
Cette chaleur humaine contraste avec le décor désertique de Mochima, le plus grand parc marin du Vénézuela qui s’étend sur 940 km2. Ici, impossible de ne pas savoir où poser sa serviette. Cap sur une crique protégée des alizées des îles Caracas où nous posons notre camp de base le temps d’un bivouac.
Snorkeling, poisson grillé et quelques verres de rhum pour mieux nous arranger sous une nuit étoilée, n’est-ce pas là la recette du bonheur à l’état pur ? L’ivresse marine décuplant les plaisirs balnéaires, voici que, perdus au milieu de nulle part, bien-être et insouciance nous gagnent comme un vent de liberté sans prix…
Bien heureusement, l’ambiance afro caribéenne de Choroni, petit village enclavé entre la mer des Caraïbes et une imposante chaîne de montagnes culminant à 2500 mètres dans le parc national Henri-Pittier, ne pouvait que me réconcilier avec l’incroyable beauté de ce généreux pays.
Grande plage frangée de cocotiers, Playa Grande déroule son tapis de sable qui accueille hippies, rastas, routards du monde entier, mais aussi grand nombre de familles et jeunes vénézueliens venus s’y reposer, loin de l’agitation urbaine de la grande mégapole voisine, Maracay.
Perdu dans la végétation exubérante de cette côte escarpée située au sud-ouest de Caracas, dans l’état d’Aragua, « uno pueblito » où le temps semble s’être arrêté. Eldorado du criollo, ce cacao à l’arôme puissant dont le goût brûlé parfume un village entier, Chuao.
Depuis l’embarcadère, une route ombragée qui longe plantations de cacao, bananiers et avocatiers mène à ce hameau de quelques âmes seulement qui a su conserver le mode de vie et la culture de ses ancêtres africains.
Parties de cartes, dominos et musique lancinante : la langueur de Chuao s’accorde à l’unisson avec un décor enchanteur, où l’on ne soupçonne pas un instant que le secret maya est jalousement préservé, malgré son succès auprès des plus grands industriels et chocolatiers du monde entier.
Par opposition à cette nonchalance et décontraction que l’on savoure aussi précieusement que le « breuvage des dieux » précolombien, le caractère festif des Caraïbes s’exprime à Choroni avec exubérance sur le rythme syncopé des congas.
Aussi, alors que les tambours résonnent sur son front de mer et sur sa grande plage jusqu’au petit matin, Choroni continue d’être cette oasis de liberté et de fête qui lui doit une ambiance unique au Vénézuela.
Dans ces moments chargés d’hédonisme, c’est toute l’énergie afro-caribéenne qui jaillit, mais aussi celle de l’Amérique latine, un continent métissé où chaque instant semble vécu à l’infini.
Gagnée par cette joie de vivre exceptionnelle et conquise par l’extrême richesse du Vénézuela, je reste convaincue que cette destination extrêmement attachante n’a rien à envier à la grandeur du Brésil qui fait la Une cet été.
Ce soir, en me balançant dans mon hamac amérindien face à la Grande Bleue, à l’heure où le soleil flamboyant rougit la mer jusqu’à l’horizon, quand le dernier vol de perruches traversera une dernière fois le ciel prêt à s’illuminer d’étoiles, je me souviendrais encore une fois de la vie du Rio Caura… Seule, mais emplie de chaleur humaine, alors que les jeux enflamment le Corcovado, j’écouterais le pouls du Vénézuela qui continue de battre dans mon cœur…
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https://delautrecotede.com/2013/12/19/derive-sur-le-rio-caura-a-la-rencontre-du-peuple-amerindien/