Mon île : du mythe du paradis oublié à cet îlot de liberté retrouvé

Du canapé au bout du monde…

Parce que l’immobilisme m’invite plus que jamais à explorer l’inaccessible, ma fascination pour les terres inexplorées croît au fur et à mesure que le monde nous échappe. Pourquoi n’y aurait-il que ce virus qui galoperait avec tous les droits d’un bout à l’autre de la planète ?

Vouant un culte profond à ces grands explorateurs qui ont marqué le siècle dernier, je continue de laisser une place à mon rêve d’enfant. Débarquer sur des territoires aux airs de bout du monde, accoster sur des archipels oubliés. Et l’idée de se confiner dans l’un de ces paradis perdus alimenté depuis des décennies par le fantasme d’une terre jamais foulée encore, réveille en moi le mythe du paradis perdu.

Mon admiration porte aussi depuis toujours sur les peuples premiers – ces sociétés basées sur l’autonomie et l’auto-suffisance qui ont su adapter leurs modes de vie à leur milieu, jouant la carte de l’harmonie et du respect, et écartant instinctivement l’introduction de la récursivité dans leur langage, ainsi que tout système monétaire dans leur fonctionnement. Autant de mystères en opposition totale à nos systèmes occidentaux qui se sont réduits en fumée durant la colonisation. Une acculturation qui n’a su avoir lieu sans heurts ni horreurs. De quelle haine faut-il être armé pour arracher avec autant de violence tout ce qui unit une population à ses singularités, à son environnement, et au sens plus large à sa propre nature ?

Du « mythe du bon sauvage » au mythe du paradis perdu oublié, j’ai eu l’occasion d’effleurer le plaisir inhérent à cette quête. En février 2017, au milieu de nulle part aux confins de l’Indonésie et de la Micronésie, je découvrais la vie paisible des Papous des îles. Une navigation qui m’a menée dans une nature vierge et intacte où tout n’est que grandeur et beauté à profusion pour l’apprenti naturaliste.

Avec ses eaux cristallines et poissonneuses, ses plages bordées de filaos et de cocotiers, ses forêts primaires, son peuple tout sourire aux cheveux décolorés par le soleil et leurs villages aux couleurs acidulées, l’Archipel des Raja Ampat fait partie de ces paradis insulaires où il fait bon s’échouer dans l’anonymat.

Sur ces minuscules cailloux perdus à l’extrémité de l’Indonésie, on resterait des heures durant à observer si ce n’est que la vie sur les pontons, au rythme des saisons, ou bien à écouter le vent se briser sur les jardins de coraux…

Mais est-ce vraiment cette île-là que nous cherchons aujourd’hui ? Derrière ses colliers de fleurs et ses plages paradisiaques, quel pouvoir peut donc encore exercer le mythe de l’île déserte vierge et préservée de la main de l’homme sur nos sociétés sur-informées, qui savent tout sur tout ?

Plus qu’un paradis sur terre dont on aurait préalablement défini les contours et les matières à la perfection, mon île, c’est aussi ce bout de terre, tantôt réel, tantôt imaginaire où je trouve refuge. Dans une quête d’une solitude qui ressemble davantage à un isolement pour me recueillir ou encore simplement m’évader, tant par l’esprit et que par la pensée.

Ce refuge intérieur dont nous avons besoin au quotidien pour couper avec un monde à deux vitesses. Avoir l’illusion de reprendre le contrôle un instant. Ralentir ce tempo effréné qui nous fait valser loin de nos convictions. Sans jamais nous ramener au centre de nos aspirations, ni même au cœur de nous-mêmes.

Au bout d’un jardin, sur un toit-terrasse, dans un hamac, en haut d’un rocher… mon île prend autant de formes que je suis capable d’en imaginer à moi seule ; elle s’apparente à tous types de décors : impersonnels, confidentiels, sensationnels, ascensionnels….

Par ses mensurations hors normes, le grandiose possède cette propension à offrir de nombreux espaces de liberté pour s’échapper, contempler et se sentir pleinement présent.

Mon île prend tantôt naissance dans le silence des grandes étendues sauvages, dans la rudesse d’un col de montagne où s’engouffre le vent avec force et vigueur que sur une crête sculptée par les éléments naturels. Parmi les hauts lieux d’inspiration qui m’entourent, la montagne fait partie de ces endroits où j’aime particulièrement errer, me perdre et me retrouver. C’est le refuge, l’abri idéal qui fait le plus écho avec mes émotions, ma quête de grandeur.

En montagne, ce besoin est assouvi par l’effort physique, l’expérience passant par le corps et s’exprimant par le ressenti…

A l’instar de cet îlot qui paraît échapper à tous types de contraintes spatio temporelles, chacun est à même de se construire son propre monde, même dans un état de confinement généralisé.

Avec la vocation de s’approprier un espace, ou même de réinventer l’espace, il suffit de laisser une part d’inconnu à celui-ci pour le redécouvrir à sa manière. Porter un autre regard sur un cadre qui semblait presque trop familier.

Si beaucoup disent que le voyage invite à la découverte de soi, pour voyager de l’intérieur, il est nécessaire de rester connecté à son environnement malgré tout, être plus que jamais ouvert sur l’extérieur.

En voyage, on semble partir détaché de tout, en ayant au préalable pris soin de ranger dans ses bagages ses repères socio-culturels, ses tracas et tribulations du quotidien. Mais, ce leurre est masqué par le degré d’écoute que l’on met au service de ce qui se passe à l’extérieur de soi, sans lequel on ne serait capable de percevoir le changement qui opère à l’intérieur.

La vision de l’altérité nourrit et atténue notre égo, corrigeant de ce fait notre perception conditionnée par ces facteurs de vie gravés en nous comme des traceurs indélébiles. C’est alors que cette mise en fragilité devant l’inconnu, inhérente à notre histoire et notre héritage personnels, contribue au développement d’une certaine forme de compassion, cet état d’être qui fait l’équilibre entre l’autre et soi, mais qui permet également de prendre du recul en vue d’améliorer la qualité du lien avec l’autre.

Ainsi, il importe finalement peu de savoir où l’on est, mais de découvrir et de comprendre qui l’on est !

Si le confinement procure dans l’immédiat un sentiment d’immobilisation propice à l’émergence de nouvelles frustrations, l’impression d’être figé contre son plein gré et démuni de toutes ses libertés, c’est aussi l’occasion de relancer une profonde introspection. Et, en s’appuyant sur la théorie de Darwin sur la capacité des animaux à s’adapter au changement, le danger potentiel d’un confinement de longue durée est bien minime et si peu visible à l’échelle d’une vie…

En revanche, pour demeurer le plus « vivant » possible, il faut plus que jamais user de sa musique intérieure pour faire danser la vie, être capable de voir la beauté dans chaque instant parce « qu’il n’y a de trésor qu’au fond de soi, dans l’amour et l’amour de la vie, dans la beauté du monde », écrivait Jean-Marie Le Clézio dans son livre « Le Chercheur d’or ».

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