Un conte colombien sur l’histoire vraie des cartels de drogue

Avec l’automne et les premiers frimas, on délaisse petit à petit le terrain pour vivre des aventures par procuration. Tantôt en voyageant par les images qui défilent sur petit ou grand écran. Tantôt en nourrissant l’imaginaire par la lecture. Le pouvoir des mots ou la force du cinquième art ? Comme les deux ne sont pas incompatibles, j’ai choisi de les associer, une fois n’est pas coutume…

A la croisée de l’œuvre ethnologique et d’une saga de gangsters latino-américains, le film mexico-colombien de Ciro Guerra et Cristina Gallego succède au brillant chef d’œuvre précédent en noir et blanc du même auteur.

Dans L’Etreinte du Serpent, il était question de la colonisation espagnole en Amazonie et de l’acculturation des tribus amérindiennes par les évangélistes, tout en laissant une place prépondérante aux rituels ancestraux, tant à travers l’écriture que la mise en scène.

Pour la deuxième fois, Ciro Guerra signe un long-métrage sur la place, le rôle et le pouvoir de l’homme blanc dans les sociétés traditionnelles à travers des moments forts de l’histoire.

Ainsi, tout son film repose sur le regard des communautés minoritaires, sur fond de transformations sociétales secouées par la violence. Cette vision particulière rarement traitée au cinéma tend à altérer notre point de vue des faits, cela au dépend de nos repères d’occidentaux.

Et, au-delà de l’intérêt de l’auteur pour les peuples premiers, le vrai fil conducteur de ces deux films réside davantage dans le caractère mystique et esthétique des images que dans la trame historique en elle-même.

Ce style de réalisation très singulier et personnel pourrait relever ou s’apparenter aux codes du documentaire, avec l’habillage d’un long métrage en plus.

Au-delà de la forme, c’est une autre vision très éloignée des clichés que nous livre l’auteur sur la naissance et la montée du narco trafic en Amérique du sud.

Nous replongeant dans les années 70 en pleine période hippie, les familles indigènes Wayuu se trouvent au cœur-même de la vente de marijuana à la jeunesse américaine et l’essor d’un commerce.

De l’affaire familiale à la naissance des cartels de la drogue avec l’exportation à échelle internationale, au fil du temps, la communauté indigène est amenée à affronter une véritable traversée du désert aussi aride que le décor colombien de la Guajira où elle vit.

Un documentaire entre mythe et réalité…

Si le film commence par un rituel mystique ancestral – une scène de danse prénuptiale – une étape clé  dans la culture de cette tribu amérindienne, fondée sur la convivialité et la solidarité des liens inter générationnels, l’honneur des familles est rapidement mis à mal par l’avidité des hommes au fur et à mesure que le commerce commence à fleurir.

Petit à petit, avec l’omniprésence et la banalisation des armes à feu, plus qu’une descente aux enfants c’est une vraie guerre des clans qui éclate jusqu’au bain de sang final, apocalyptique.

Plus le chaos s’installe et la violence monte, plus les traditions sont fragilisées et mises en péril.

Intégrant les codes du conte dans son écriture, le film structuré de 5 chants et de 5 actes, passe par tous les états d’âme. De la prospérité au châtiment, de l’esprit festif au désenchantement total, en passant par la peur, la communauté voit peu à peu ses rituels menacés par les faits et la réalité.

Dans cette société matriarcale où la dimension familiale très présente régit la vie de toute une communauté, la folie s’empare des règles et des choses établies. Non maîtrisable, le feu se propage, sans même que l’on ne parvienne à l’éteindre. Alors que tout échappe au principe de raisonnement et aux fondements mêmes de la culture Wayuu, les anciens ne parviennent plus à arrêter le mal. La folie humaine succède à la transe chamanique.

LES OISEAUX DE PASSAGE
PAJAROS DE VERANO
2018
de Cristina Gallego et Ciro Guerra
Jose Acosta
Natalia Reyes.
Prod DB © Emanuel Rojas – Ciudad Lunar Producciones – Blond Indian Films / DR

A mi-chemin entre le regard anthropologique et social et la reconstitution ethnologique, le film Les Oiseaux de passage cautionne encore une fois Ciro Guerra comme le spécialiste des minorités latino-américaines.

En utilisant un sujet aussi important que déterminant pour l’histoire du pays, il interroge de façon plus large le spectateur sur la place des amérindiens dans la Colombie actuelle. Peut-on seulement mesurer la perte des traditions et des repères séculaires, parallèlement à l’intégration de la modernité dans un mode de vie considéré comme marginal ?

Alternant à tour de rôle puissance, énergie et poésie, ce film répond à des questions qui restent toujours aussi réelles et d’actualité.

Servant de sujet commun aux deux films, le lien entre le ciel et le passage sur terre et les signes naturels s’appuient sur des croyances ancestrales.

Malgré tout, si l’on perçoit l’importance du rêve et de la mythologie dans la culture Wayuu, la fresque dramatique parvient presque à un certain moment à faire oublier que le film est basé sur une histoire vraie, celle qui a marqué et régit le pays durant des années.

A l’instar du titre du film, cette approche ancrée dans le mythe et le symbole toujours en lien avec la nature reflète parfaitement bien qu’indirectement l’impermanence propre au cycle de la vie. Aussi, ni le pouvoir ni l’influence pourtant puissante de la figure matriarcale ne sauront arrêter le fléau.

Face à cette fatalité catastrophique et chaotique, la communauté Wayuu s’auto perçoit dans son inconscient comme une société incapable de survivre au changement, se résignant au passage à assigner un coupable. Avec la perte des traditions, c’est l’âme Wayuu toute entière qui disparaît. Ne restant plus en son cœur que le désarroi et la solitude. Avec l’austérité du désert, le goût amer de la vengeance et de l’honneur perdu.

Et pourtant, rien ne se perd, rien ne se créée, tout se transforme, dit-on ?

A lire ou à relire sur le même thème : https://delautrecotede.com/2016/02/25/incursion-dans-lhistoire-du-peuple-amerindien-entre-recit-ethnologique-et-chamanisme/

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