I’m not a witch : il était une fois une petite sorcière…

 

“I Am Not a Witch” : premier long-métrage de la Britanno-Zambienne Rungano Nyoni

Par son énergie, sa pulsation et sa diversité, l’Afrique plurielle et chaleureuse a beaucoup à nous conter. Tantôt authentique et généreuse, tantôt mystique et surprenante, l’Afrique nous fascine par son brassage ethnique, sa culture et par ses nombreux rituels ancestraux.

Si la corruption, les questions de santé publique et d’alphabétisation sont largement relayées dans les médias, la carte postale, elle, ne laisse que rarement transparaître la violence et la cruauté de certains cérémonials tribaux.

C’est pourquoi, avec l’envie grandissante de retourner un jour fouler ce continent aussi saisissant que révoltant, a émergée cette idée de partager et d’échanger sur un sujet peu ordinaire à travers une œuvre cinématographique saluée au Festival de Cannes : I’m not a witch de Rungano Nyoni.


Le Portrait d’une Afrique contemporaine

Comme un griot qui narre son histoire, la jeune réalisatrice de 35 ans raconte avec grâce et poésie, une fable qui s’inscrit dans une Afrique contemporaine en crise, prise entre pleine contrariété entre tradition et modernité.

Inspirée de faits actuels, cette fable met en scène des femmes qui vivent exclues de la société, parquées au milieu de nulle part. Mises en spectacle dans des espaces comparables à des enclos pour animaux, les touristes s’arrêtent pour les photographier comme des bêtes sauvages.

Mais qui sont donc ces femmes ?

Accusées de sorcellerie par des personnes de leur entourage ou bien de leur propre village, ces femmes africaines ont été rejetées et enfermées dans des camps à perpétuité.

Vivant dans l’ignorance la plus totale, mais se nourrissant surtout de croyances séculaires fortes qui régissent leur quotidien, ces villageois ont assigné à ces femmes de dangereux pouvoirs, comme si elles représentaient de véritables dangers pour leur propre personne.

Evoluant dans un espace-temps dénué de vie, où le temps n’a d’emprise que sur l’ardeur des travaux dans les champs (l’esclavagisme étant ici à son apogée dans une version minimaliste régie par les codes de la fable), ces sorcières viennent d’accueillir une jeune enfant : Shula.

Shula, une enfant de 9 ans dont les grands yeux noirs illuminent un visage qui n’a encore rien vu ni rien vécu de la vie.

Shula, cette petite orpheline sans parents ni famille qui semble venue de nulle part se voit à son tour attribuer de maléfiques pouvoirs.

Comme apparue par magie dans l’histoire, Shula rejoint à son tour ce camp où la poussière vole sur une ligne d’horizon floutée par des températures hostiles.

Toutes attachées les unes entre elles par de longs rubans blancs reliés à une bobine de fil géante qui symbolise la servitude, les sorcières se meuvent comme dans une chorégraphie ubuesque.

Exténuées par la chaleur et le travail éprouvant des plantations et toutes habillées d’une même blouse bleue, elles semblent errer comme des fantômes, leur corps fatigués flottant dans un décor irréel.

En lieu et place des chaînes, Rungano Nyoni n’a pas choisi innocemment ces rubans, symboles d’une certaine légèreté malgré la lourdeur du contexte.

Mais que cache donc leur silence ? Ressentent-elles encore véritablement de la haine au fond d’elles ? Qu’est-ce qui pourrait encore les retenir ainsi en vie sous liberté conditionnelle ?

Deux choix se présentent à Shula : celui de devenir libre une chèvre ou celui de s’enfuir dans la brousse en espérant réussir à survivre. Comment un être humain pourrait ainsi rester enchaîné ? N’est-ce pas là un geste pour lui ôter définitivement la vie ?

Où commence donc et où s’arrête la liberté ?

Si elle est prise sous la tutelle d’un personnage qui brille derrière le petit écran et se pavane devant les autorités publiques en lui faisant miroiter une vie meilleure, Shula ne mettra pas longtemps à comprendre que cet homme vénal qui s’enrichit du commerce de ces vraies/fausses sorcières n’est autre qu’un imposteur, un intermédiaire malhonnête tente qui d’amadouer son cœur de  jeune orpheline pour lui faire miroiter une vie meilleure.

Mais que peut-on bien offrir à une petite sorcière en cage à qui l’on interdit de vivre son enfance : une éducation ? Une scolarité ? Une vie sociale ?

Le talent d’une cinéaste autodidacte…

Au milieu des silences pesants d’un huis clos parfois étouffant, le comique de la situation prend toujours le dessus l’atrocité des faits et l’absurdité de la situation.

S’enveloppant d’un esthétisme à la lenteur presque salvatrice, la mise en scène est altérée par ces effets de flottement qui confère un caractère totalement intemporel au film.

Jamais doté de misérabilisme, une singularité qui constitue d’ailleurs toute la force et l’originalité du film, I’m not a witch nous émeut par cet humour cruel qui transparait en continu.

D’ailleurs, sous des airs de conte, n’y a-t-il pas de film plus réaliste que cette allégorie ?

Entre effroi et désespoir, la jeune réalisatrice Rungano Nyoni livre à travers cette fable une peinture réaliste aux contours totalement fantasmagoriques qui soulèvent le poids de la domination et de la corruption dans les sociétés africaines et surtout la place des femmes dans les sociétés patriarcales.

De tous temps, l’homme a eu besoin de boucs émissaires pour désigner des responsables aux maux de la société.

Mais à présent, on se demande si l’homme n’agirait pas ainsi par peur, face à la puissance et la force de la femme ?

En d’autres mots, derrière les codes du conte, où l’on retrouve tous les stigmates des traditions africaines (dont l’importance des animaux) la fable, simple et réaliste, mène la danse tout en dénonçant l’absurdité du pouvoir et les droits bafoués avec une émotion enfantine qui donne voix au statut de la femme au sens large.

Ici, Shula incarne la petite voix qui délivre un message au nom de la Femme africaine.

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