A l’heure où la mascarade des festivités de fin d’année s’est évaporée avec les premières matinées embrumées de janvier, pourquoi ne pas lever le masque sur les coutumes et traditions propres à un tout autre habit de fête… le tatouage ?
Pratique ancestrale, art traditionnel ou encore symbole d’identification à un groupe, le tatouage a fait l’objet d’un sujet d’actualité dans les sphères culturelles institutionnelles parisiennes.
Jusqu’au 18 octobre dernier, le musée du Quai Branly lui a rendu hommage, à travers l’exposition « Tatoueurs, tatoués ».
Longtemps réservé aux marginaux en Europe, ou même aux criminels, le tatouage a pu évoluer en même temps que sa notoriété, au fil du temps, notamment grâce aux voyages.
Nouvelle-Zélande, Marquises, Tahiti, Hawaï ou encore Japon : l’exposition du Musée du Quai Branly a replacé le rôle du tatouage dans les cultures lointaines et la façon dont il est progressivement devenu un art.
Aujourd’hui, avec un Français tatoué sur 10, les chiffres viennent confirmer la tendance.
De l’objet artistique à la tradition malgache…
S’il n’en existent pas qui soient propriétés de famille ou qui constituent en quelque sorte du moins de quelconques signes de noblesse, les peuples de Madagascar ont véritablement recours au tatouage pour se différencier d’un groupe à l’autre, afin de marquer ainsi plus facilement l’appartenance ethnique.
De nos jours, seuls les peuples côtiers de l’Ouest, du Sud et du Sud-Est, à l’exclusion de celles des Hauts Plateaux et du Nord, sont encore porteurs de ces dessins. Dans l’est de la Grande-Ile, le peuple Betsimsaraka a, quant à lui, déjà porté dans l’oubli cette pratique.
Parfois appliqué en simple enduit sur la peau (= tabaké) pour un usage temporaire, chez les femmes Sakalava, le tatouage joue réellement à embellir le visage grâce à une grande variété de couleurs et de formes : cercles autour des yeux, triangles autour du nez, carrés sur les joues, etc.
La notion de clan bien intervient bien entendu très souvent, que ce soit même à travers les petits ornements que leur préfèrent les hommes.
Parfois, notamment chez les Antemahilaka, dans la région de Morafenobe-Bemolanga, les figures se limitent à des motifs relativement élémentaires : 3 traits parallèles sur le front qui partent de la racine du nez pour se terminer jusqu’à la naissance du cuir chevelu ou, plus fantaisie, une double ligne tracée en zigzag qui relie une tempe à l’autre. Les dessins pointillés, beaucoup plus nombreux chez les femmes que chez les hommes, se compliquent généralement en petits cercles décalés, travaillés en parfaite symétrie sur les deux joues.
Chez les Antemilanja (région du Cap Saint-André), les dessins corporels présentent des parentés avec ceux des Masombika, chez qui les représentations solaires, humaines ou animales tiennent une place importante. Jouant cette fois sur la dissymétrie, il n’est pas rare d’observer tantôt une ligne brisée, comme un accent circonflexe au-dessus d’un oeil et une roue solaire au-dessus de l’autre oeil. Chez l’homme, le reste du corps est assez peu décoré ou sans trop de diversité, à l’exception de motifs de colliers et de bracelets, agrémentés ou non d’une roue solaire centrale.
Pour la femme, en revanche, c’est toute la poitrine depuis le cou qui est constellée de motifs, depuis le simple collier en ligne brisée jusqu’à un dessin beaucoup plus travaillés. Le dos, lui, hormis la tête d’un individu qui représente parfois le soleil et ses rayons, avec une combinaison de roues, reste peu ornementé par rapport aux bas des reins des femmes qui, comme sur les bras, les dessins ne manquent pas de sophistication.
Chez les Antimaraha (région de Besalampy et Bekodoka), les tatouages sont moins nombreux autant pour l’homme que la femme, mais on retrouve également le même usage de l’asymétrie, avec très peu de pointillés. Au-dessus de l’oeil de l’homme, de nouveau ce double accent circonflexe qui surmonte des lignes courbes sur chaque joue en général non symétriques. Parfois, une joue peut même être décorée d’un soleil et l’autre d’une croix gammée.
Les femmes, elles, se parent de combinaisons beaucoup plus simples : des lignes obliques sur chaque joue ou encore des points symétriques. Et, si les dessins corporels se raréfient chez les hommes, les femmes préfèrent remplacer le motif du collier qui rejoint une épaule à l’autre par une simple croix.
De l’attribut Sakalava à l’usage occidental…
En portant notre regard sur le seul peuple Sakalava, à Madagascar, et cela à travers l’infinité créative et symbolique, cela révèle déjà combien le tatouage joue encore aujourd’hui un rôle majeur dans les communautés traditionnelles et plus particulièrement chez les peuples ethniques pourtant minoritaires,
De plus, si le tatouage tribal perd progressivement sa part de mystère et de culte parmi les rituels ethniques, du fait de l’impact de la société occidentale sur les peuples autochtones de plus en plus exposés aux regards des touristes et de « l’autre » en général, comment expliquer le caractère marginal d’un artifice corporel pourtant communément partagé dans les sociétés urbaines ?
Si le champ universitaire a déjà étudié les valeurs et significations ethnologiques et anthropologiques du tatouage, les universitaires explorent encore aujourd’hui sa popularisation dans le milieu urbain. Entre expression artistique et affirmation de soi, l’usage et la popularité du tatouage aujourd’hui interroge encore nos contemporains…
Source : Les tatouages chez les indigènes de Madagascar, In: Journal de la Société des Africanistes. 1935, tome 5 fascicule 1. pp. 1-39. Raymond Decary.
Photo : cc Mohamad Zilofo