« La surface la plus passionnante de la Terre, c’est pour nous celle du visage humain », Georg Christoph Lichtenberg.
A travers ces mots, c’est à la fois toute la complexité de l’homme et de ses relations dans un monde en perpétuel mouvement qui nous interroge, mais aussi sa façon de percevoir l’altérité à travers le monde.
N’est-ce pas véritablement la rencontre qui donne sens au voyage et à la vie au sens large ?
Du voyageur au touriste : de nouvelles tendances sociologiques à une consommation marketing…
Dans un contexte où les sociologues et anthropologues parlent de « touristisation du monde », mettant en scène le « touriste labellisé » dixit Jean-Didier Urbain, dans un tourisme perçu comme une multinationale du capitalisme, les désirs et besoins de partance du voyageur sont perpétuellement remis en questionnement.
En plaçant le « touriste voyageur » comme un consommateur à travers des actes qui tendant même à le réduire à un « destructeur » de la nature (bétonisation d’espaces côtiers) et des cultures du monde (acculturation de peuples), on s’éloigne très vite du mythe du voyage initiatique et de la découverte de mondes perdus.
Certes, on peut considérer que la flânerie a disparu au profit d’une nouvelle forme de mobilité, à l’image de la société contemporaine.
Le nomade contemporain est aujourd’hui celui qui occupe un territoire, un être humain qui circule, tout en sachant où il va, ayant appréhendé et donc tempéré son déplacement par sa connaissance du monde nourrie par la surinformation, elle-même facilitée par les médias, internet et les réseaux sociaux.
Question de mode selon les uns – avec l’image du « voyageur aventurier » – qui laisse entendre que les occidentaux voyagent pour s’accomplir ou même se guérir, alors que le voyage, par définition, relève davantage d’une nécessité et presque d’un gage de survie (ex. : exodes politiques), Yvon Lesaunier, anthropologue du sport, propose sa thèse selon laquelle :
«Si vous voyagez pour la forme, vous ne retirerez pas grand-chose de votre périple. Sinon une nouvelle chemise hawaïenne et un bronzage qui se sera estompé en quelques semaines. Le vrai voyage quant à lui vous collera à la peau toute votre vie… ».
Ainsi, Yvon Lesaunier identifie ce qui reste du voyage, au-delà du bronzage et des tampons sur le passeport. Au-dehors du fait de résister à l’immobilisme, le voyage bouleverse assurément les certitudes. Dans ce sens, il constitue un défi permanent pour nos croyances respectives.
« À quoi sert de voyager si tu t’emmènes avec toi ? C’est d’âme qu’il faut changer, non de climat », Sénèque.
Si Franck Michel définit le tourisme comme une nouvelle forme de colonialisme, en justifiant que la visite de l’histoire et de la géographique sur des territoires placés sous domination constitue une façon pour les occidentaux d’asseoir leur pouvoir d’achat en même temps que leur impérialisme culturel, le voyage reste assurément un espace de liberté à découvrir et non à conquérir.
En d’autres termes, le voyageur doit «…s’immiscer dans la culture de l’autre sans pour autant renier la sienne, se frotter à l’ailleurs sans perdre de vue d’où il vient, se rendre disponible à tout et se mettre à écouter le monde, sans en altérer ni le son ni l’harmonie…».
En somme, cela revient à réaliser un voyage ancré dans la simplicité et la générosité, toujours avec altruisme et ouverture d’esprit. Ainsi, il faut aborder la rencontre comme une façon d’être et non sur un mode de possession (par exemple : « j’ai fait le Machu Picchu »).
Ce type de comportement doit idéalement servir à mieux comprendre le monde, réduire les préjugés et les stéréotypes, afin de faire diminuer, à long terme les actes racistes et autres inégalités.
Par ailleurs, voyager sert également d’apprentissage pour acquérir une liberté alliée à une certaine forme d’autonomie que Franck Michel appelle « l’autonomadie ».
Aussi, dans son éloge au nomadisme, il encourage le voyage alternatif (ex. : le « slow travel »), qu’il entend par « voyage désorganisé ». Voyager moins loin et moins vite et se rapprocher de l’autre, constitue une façon de découvrir son voisin, mais aussi de se percevoir soi-même.
« On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels… », Nicolas Bouvier.
Pourtant, le voyageur est souvent porté par la quête de soi qui consiste à vivre plus vite avec toujours davantage d’intensité, mené par une frénésie de jouissance et d’urgence de l’action, comme si la mort le menaçait. Parmi les exemples, la traversée de l’Atlantique à la rame ou les expéditions de Mike Horn, dont on soupçonne le caractère humain de l’aventure qui pousse l’exploit sportif à l’extrême.
Mais la vitesse n’est-elle pas le dénominateur commun de la logique capitaliste, au même titre que l’immédiateté et l’instantanéité où l’excès de soi par un défi permanent de performances reste l’une des composantes de la société hypermoderne au sens où la décrit Nicole Aubert ?
Sur l’émergence de nouvelles tendances, entre spiritualité et retour à la nature…
Considérant que la quête de sens est un acte universel et que l’expérience spirituelle passe par la connaissance de soi, la sagesse et les facultés à se dépasser, on peut affirmer que le fait d’aller vers les autres (cultures), provoque ainsi une réelle communion avec autrui. En ce sens, cela représente une certaine forme de spiritualité, au même titre que la marche qui permet d’entrer en harmonie avec la nature, et par conséquent d’atteindre un certain état de bien être.
Par ailleurs, le voyage et le rapport de l’homme à la nature passe de plus en plus par l’expérience, une tendance globalisée sous le terme de « marketing expérientiel », lorsque le tourisme se construit dans l’espace même du produit culturel, générant ainsi un certain engagement émotionnel chez l’individu « voyageur »…
« Il s’agit de faire renaître la signification des lieux, de leur donner un sens nouveau, en passant par l’épreuve des sens », J. Corneloup.
Ainsi, dans le cadre de ce « voyage responsable » que l’on fait les yeux grands ouverts sur le monde, sur les personnes que l’on rencontre et sur la nature dans laquelle on s’immerge, ne pourrait-on pas espérer découvrir ce monde utopique que nous décrit l’essayiste américain Jeremy Rifkin dans son livre « La Nouvelle société du coût marginal zéro » ?
Une réflexion selon laquelle « le capitalisme va laisser place à une économie de l’échange et du partage … » et « le passage de la verticalité de l’ère charbon pétrole à l’horizontalité de l’ère internet pourrait nous mener vers un monde plus écologique, plus durable et plus démocratique… ».
Réflexion construite à partir de la bibliographie suivante :
AUBERT Nicole, février 2011, « La Société Hyper moderne, l’Individu Hyper moderne : Ruptures et contradictions », Troisième séminaire AFAPP « L’accompagnement des processus de construction identitaire : l’apport de la sociologie », p. 12.
CAMUS Sandra, POULAIN Max, 2008, « La spiritualité : émergence d’une tendance dans la consommation », «Management & Avenir, n°19, p. 72-90, Management Prospective Ed, http://www.cairn.info.
LESAUNIER Yvon, « Le voyageur et le touriste », 2014, http://www.lacroiseedesroutes.com.
MICHEL Franck, 2006, « Autonomadie contre libéralisme. Décolonisation, nomadisme et voyages désorganisés », Silence, Lyon, n°334, p. 40-47.
MICHEL Franck, Routes, éloge de l’autonomadie : une anthropologie du voyage, du nomadisme et de l’autonomie, 2009, Editions Presses Universitaires de Laval, Québec, 603 p.
REAU Bertrand & POUPEAU Franck, 2007, « L’enchantement du monde touristique », Actes de la recherche en sciences sociales, 2007/5, 170 : p. 4-13.
URBAIN Jean-Didier, 1993, L’idiot du voyage, histoires de touristes, Payot, 270 p.
URBAIN Jean-Didier, 2011, L’envie du Monde, Editions Bréal, 270 p.
J’aime l’idée que la rencontre donne du sens à la vie et au voyage. Partir à la découverte des autres c’est aussi se découvrir soi, tous les chemins mènent à l’homme quelque soit l’endroit. Au delà des terres et des mers, le voyage de l’âme est une quête perpétuelle vers un ailleurs toujours meilleur!
Merci, Sandrine pour ta réflexion toujours intéressante… L’homme est en effet insatiable par nature et ne prend plus le temps ni de s’ouvrir à son voisin, ni même à se connaître lui même réellement… Cette dichotomie de l’individualisme et de la surinformation est bien entendu accentuée dans notre société contemporaine. Mais, c’est aussi pour rebondir sur cette quête de soi que beaucoup d’anthropologues et de sociologues disent que l’authenticité est en partie biaisée lors du voyage et que, « l’enchantement » qui se créé en voyage, du fait de la rupture des liens sociaux (avec notre quotidien et nos propres repères sociologiques) n’est plus que leurre dans la mesure où l’individu voyage finalement avec lui-même, ses propres attentes (du voyage) et sa quête personnelle… Un sujet qui se débat très largement et que je voulais partager après l’avoir un peu étudié en cours !
Coucou,Superbe article… je suis justement en pleine réflexion… il est difficile de rencontrer au moins 10 personnes par jour qui te demande, alors t’a FAIT quoi ??? Et tu vas FAIRE quoi ???? Des gros bisous et j’espère que tout va bien pour toi ???Nous après un mois et demi au Laos, on décolle demain pour le Myanmar… un mois de découverte et de longs jours de trek, à suivre donc. Des gros bisous et j’espère que tu as le moral…??????????,
Date: Sat, 13 Dec 2014 20:36:09 +0000 To: martel.flavie@hotmail.fr
Coucou Flavie !!! Merci de vadrouiller à tes heures perdues sur mon blog… tu as pourtant bien d’autres choses à vivre sur le terrain, n’est-ce pas ??? Quelle chance, je t’envie énormément. Vos photos m’aident à surmonter la charge de travail, bien entendu !
Mais le travail ne représente t’il pas une forme de thérapie, n’est-ce pas ?
J’ai écrit un seul article sur la Birmanie, mais tu trouveras quelques photos…
Amusez-vous bien et au plaisir de te suivre en attendant le débriefing en live ???
PS : je ne te cache pas que je te suivrais bien, tu sais… lol
Servane
Superbe article !
Merci à toi Flavie ! A très bientôt, je l’espère !!!