« Au Darien, t’as rien à y faire » : entre paradis et enfer ?

Sambu, Darien, Panama (mars 2011)

Sambu, Darien, Panama (mars 2011)

Prendre la direction de la jungle du Darién relève d’un défi d’explorateur depuis toujours. Guérilleros, FARC, narcotrafiquants, migrants clandestins, serpents venimeux et paludisme : voici une région qui a bonne presse dans les médias et qui cumule les attraits touristiques parmi les plus recherchés au monde !

Dans la région du Darién, ce ne sont en effet pas moins de trois groupes rebelles colombiens qui sévissent dans cette zone de forêt tropicale humide et de marais de 160 km de long sur 50 km de large à la frontière colombienne : les Autodéfenses unies de Colombie, d’extrême-droite, l’Armée de libération nationale et les Forces armées révolutionnaires de Colombie, d’extrême-gauche.

DSC_0050

Même la panaméricaine, cette route traversant le continent du nord au sud sur près de 48 000 km n’interrompt sa course qu’ici, à Yaviza, au cœur de la région du Darien au Panama, pour ne reprendre en Colombie qu’à Lomas Aisiadas, à 27 km de Barranquillita. Au total, une centaine de kilomètres impénétrables ou presque, où seule la navigation dans les méandres marécageux du fleuve reste une voie d’accès exploitable et accessible.

Aussi, la plupart des voyageurs choisiront de contourner cette zone d’activité rebelle en ferry ou encore en avion, évitant de s’aventurer dans l’épaisseur d’une région particulièrement peu hospitalière.

« J’ai voyagé dans bien des régions encore ignorées par ce qu’il est convenu d’appeler la « civilisation » et je puis vous assurer que j’ai rarement vu une végétation aussi exubérante, aussi splendide, aux arbres aussi variés et majestueux, et une faune d’oiseaux aussi chatoyante, riche et musicale que celle qui peuple le ciel et la terre du Darien. On a peine à croire que, à si peu de distance du fourmillement des gratte-ciel et des magasins, des restaurants, des multiplexes et des boutiques de luxe de la ville de Panama, on puisse encore revenir à un monde préhistorique, à une nature non domestiquée, où le temps semble s’être arrêté et où les seuls bruits perceptibles dans cette atmosphère essentielle sont la rumeur du vent dans les feuilles, le ruissellement des eaux des rivières entre les pierres ou les criailleries des bandes de perroquets qui soudain sèment le tumulte dans le ciel. »

Mario Vargas Llosa

Pourtant, par ces termes, l’écrivain péruvien décrit un tout autre enfer, presque proche du paradis…

En effet, les nombreuses associations de protection de la nature ont eu bien raison de leur mise en garde sur le projet de prolonger la route. Consciente de la valeur de ce territoire, l’UNESCO a même déclaré le parc national du Darien comme « patrimoine mondial ».

A juste titre puisque ce sont 2.440 espèces animales et végétales, 10 types de végétations différentes et environ 23 espèces animales endémiques qui ont déjà été répertoriées, dont le puma et le jaguar.

Mais, il faut savoir que s’introduire dans le Darien ne s’improvise pas comme la visite d’un jardin exotique où l’on observe des oiseaux et animaux en toute tranquillité. La forêt humide ne dévoile pas si facilement ses richesses. La chaleur humide et la végétation luxuriante possèdent tous les atouts pour effrayer le premier visiteur. Au-delà de la difficulté d’acclimatation à la rudesse de la vie dans la jungle, les déplacements deviennent vite délicats et limités, ralentis.

Pourtant, au coeur de cet enfer, vit encore un peuple indigène en harmonie avec la nature : les Emberá, l’un des sept groupes amérindiens encore présents sur le territoire panaméen…

  • les Tules, connus sous leur nom colonial de Kunas
  • les Chocoes, représentés par les Emberás et les Wounaan 
  • les Ngobe et les Bugles, groupés sous le nom de Guaymíes
  • les Teribes, appelés aussi Nasos ou Tlorios
  • les Bri-Bris, une petite minorité présente dans l’ouest du pays

A La Palma, la capitale du Darien, une petite bourgade fort animée  et construite entièrement sur pilotis en front de mer, la population se compose à majorité de descendants des esclaves noirs, les cimarrones, qui travaillaient dans les plantations de café et les mines d’or. La plupart d’entre eux s’est établie ici dans les fermes lors de la colonisation espagnole. Avec ses varangues aux couleurs vives, ses vestiges coloniaux et sa nonchalance créole, La Palma a des airs de Marie-Galante, tout en dévoilant quelques traits de caractère amérindiens.

Visage embera, La Palma, Panama (mars 2011)

Les premiers territoires Embera se situent à moins d’une heure de bateau de cette baie colorée où les bancs de dauphins se plaisent à jouer, en faisant preuve de leurs prouesses gymniques… A quelques mètres de là seulement apparaît un tout autre décor. Dès lors que l’on quitte la mer, le bateau se perd peu à peu dans les méandres des bolongs, ces marécages d’eau de mer cachés bordés d’une végétation dense. De hauts cocotiers et autres arbres exotiques odorants se reflètent avec beauté sur les eaux émeraude du Rio Sambu.

DSC_0097

A l’exception de quelques bateaux de pêche, la présence humaine se fait quasiment inexistante et surtout véritablement dissimulée, à l’image des embarcadères blottis sous les haut arbres…

Pénétrer dans le Parc National du Darien, c’est avoir l’impression de s’échouer en plein marécage…

Mais s’aventurer à pied dans la jungle offre plus d’un spectacle pour l’ensemble des 5 sens réunis. Derrière les jolies cultures de bananiers et de caféiers aux senteurs multiples, la forêt se ressert et la végétation s’épaissit, en même temps que le taux d’humidité grimpe. Et là, l’exercice devient plus sportif, il requiert davantage de dextérité. Slalomer à travers les toiles d’araignée, éviter les racines noueuses et les branches à griffes ou à feuilles piquantes, poser les pieds en dehors des sols humides pour ne pas y laisser ses semelles Vibram et garder l’équilibre, toujours, pour réagir avec précision et rapidité à la moindre apparition rampante ou velue.

Dès lors que l’on sursaute, un majestueux toucan de toutes les couleurs observe la scène avec moquerie du haut d’un cocotier ; suivent les rires railleurs et narquois de minuscules colibris. Plus tard, l’itinérance peut également aboutir à une toute autre rencontre, aussi improbable qu’incroyable : au fin fond d’un chemin qui mène à une impasse au-dessus d’une vaste étendue d’eau couleur « Coca-Cola », voici le spectacle d’une colonie de caïmans en pleine séance de cours de natation à la piscine municipale du coin. Attention, vous êtes épiés !!!

DSC_0134

Et ce serpent vert fluo, aussi fin que agile, qui siffle sur nos têtes, sur la branche fragile d’un arbre en plein milieu du chemin ?

DSC_0143

Pour mettre fin aux émotions nombreuses et à ces montées d’adrénaline passagère, une dégustation de haricots coton et de lait de coco offre la dose de sucre nécessaire avant un déjeuner dans une famille d’adoption Embera pour goûter la soupe de poulet locale.

DSC_0153

L’invitation nécessite un dernier petit effort afin de franchir les barreaux de ces échelles admirablement sculptées à la verticale et permettant d’atteindre la pièce unique des maisons aux toits en feuilles de palme (= Tambos).

DSC_0203 - Copie

Après le repas cuisiné et servi avec attention, vient l’heure du « body painting »… A la mode Embera, les femmes dessinent des motifs aux courbes tribales, avec des pigments à base de plantes bois, le au jaguaun fruit qui sent si bon le chocolat fondu !

Côté vestimentaires, seules les personnes âgées portent le pagne comme seul attribut, se promenant torse-nu dans le village.

Dans les jardins et sous les pilotis des maisons où sèche le linge, les plus grands jouent à moitié nus, simplement vêtus de la « jupe Embera », ce paréo fleuri aux couleurs flashy et noué à la taille. Les femmes portent également la traditionnelle jupe très colorée, juste au-dessus des genoux, laissant apparaître leurs rondeurs légendaires.

DSC_0170

A Sambu, une vie paisible suit son cours, hormis à l’approche de l’avion de brousse qui dessert les villages les plus reculés… Ce sont les enfants qui, les premiers et avec de grands cris d’excitation, donnent l’alerte de l’atterrissage imminent. Celui-ci s’exécute après un virage à ras de la jungle, avant de passer juste au-dessus de la tête des passagers, avant de se poser juste devant l’unique pension du village.

Un spectacle saisissant qui mérite bien d’être partagé avec un village entier, même si celui-ci commence à s’habituer à ces vols quasiment quotidiens. Pourtant, la joie semble générale et il règne une vraie excitation autour du passage de cet avion.

DSC_0224

Avec une poignée de passagers, embarquent une poule et de nombreux présents alimentaires plus que calés (entassés ?) dans la cabine de pilotage.

Efficace et fort expérimenté, le pilote décolle à une vitesse efficace et maîtrisée dans une forte odeur de kérosène, avant de prendre son envol au-dessus de la forêt en direction du sud du Darien où il se pose de nouveau au coeur de la jungle.

Puis, c’est avec le même vrombissement qu’il s’envole encore, laissant loin derrière les kaléidoscopes de verts à perte de vue pour frôler les gratte ciels futuristes de Panama City, ville empreinte de luxe et de modernité… bien loin de la forêt et de ses multiples dangers !

Mais qui n’est jamais revenu sain et sauf ?

Le Darien n’est-il pas un véritable paradis vert, au-delà de ses airs d’enfer ?

 

Plus d’anecdotes sur le Panama :

https://delautrecotede.com/2013/12/19/les-paradis-indiens-du-panama/

Publicité

3 réponses à “« Au Darien, t’as rien à y faire » : entre paradis et enfer ?

  1. Merci pour ce voyage, installée confortablement devant mon écran. Je te souhaite de bonnes vacances au Mont Blanc avec Louisa. Bises.

  2. Bonjour ,vous pensez que l on peut traversé le darien en marchand avec des cheveaux en saison seche (du ppanama direction le peru)
    Merci !
    Miguel

    • Bonjour,

      A ma connaissance, la seule frontière séparée par le Darien, soit celle du Panama à la Colombie reste fermée pour des raisons de trafic et d’accès très très difficile. A pied, ce n’est pas de la simple marche, mais cela relève de l’expédition avec bottes et coupe coupe. Plus que déconseillé de le traverser à pied, car interdit ! Bon voyage, malgré tout !!! Servane

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s