Trekking en pays Betsimsaraka, Madagascar

Cap Masoala, Madagascar (Octobre 2006)

Cap Masoala, Madagascar (Octobre 2006)

Trekking en pays Betsimsaraka sur la Côte des Pirates et de la vanille (Octobre 2006)

Un cocktail aux doux arômes sucrés de vanille et d’ananas, de litchis et de clous de girofle a parfumé mon chemin, depuis Maroantsetra jusqu’à Antalaha. Dans la pénisule difficile d’accès du Cap Masoala, au nord-est de la grande île, sur la côte du palissandre et des pirates, j’ai découvert et partagé un peu du quotidien métissé Betsimsaraka, aux couleurs créoles et aux vibrations africaines. Avec pour fil conducteur de cette itinérance, la participation à un projet pilote de développement éco-touristique, dans une région dépourvue de toutes infrastructures, mais regorgeant de trésors naturels et humains. Une richesse exceptionnelle encore préservée, comme un secret jalousement gardé, entre les eaux turquoise de l’océan Indien et les verts intenses de la forêt primaire.

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VANILLA TREK
8-23 Octobre 2006

Lumière d’automne et soleil radieux sur une mer azur, étincelante.
Une peinture parfaite aux couleurs et aux contours inégalables, francs et harmonieux. Tellement beaux.
Cependant, l’heure du départ est marquée par une humeur morose, partagée entre nostalgie et inquiétude.
Nul doute que la défaite de l’équipe de France contre Chelsea n’aide pas à défaire ce nœud.
Tel l’univers brumeux de D. Lynch peint dans « Mulholland Drive », le chemin sinueux qui grimpe jusque au Col Saint-Antoine est plongé dans un silence absolu, donnant l’impression de traverser un quartier résidentiel huppé sinistré.
Cannes, 20 minutes d’attente. Juste avant que le lourd rideau de fer du Relay ne tombe dans un grincement aigu, j’attrape rapidement un magazine sous blister avec DVD, interpellée par le regard lumineux d’une jeune Bhoutanaise en couverture.
Si je me suis emparée du 1er numéro d’un nouveau titre de reportages, Roadbook, est-ce seulement par le goûteux fruit du hasard ?
Ce délicieux parfum d’évasion à portée de main, je me précipite dans la lecture.
Roadbook, ou le nouveau concept de magazine multimédia créé par l’ex. rédacteur en chef de Trek Magazine, Christophe Raylat.
Ce même auteur et acteur du trek, déjà croisé lors d’un étonnant jeu de circonstances, dans un recoin de la librairie de l’Agence « Voyageurs du Monde », rue Saint Anne à Paris.
Plutôt qu’un simple hasard, j’en déduis que ce n’est que l’un des nombreux signes de l’appel au voyage, tout proche, sur le point de se concrétiser.
Le train bleu est à quai. Au fur et à mesure des kilomètres, il réussit à me bercer. Je m’endors sur le rail, déjà encore plus loin dans mes rêves.
Si le jour est pourtant bel et bien déjà levé, Paris se remet doucement de sa « nuit blanche ».
Pas l’ombre d’un chat, seule une circulation ronronnant ; tellement inhabituel !
Pour quelques heures seulement, je pose mes bagages sur la Rive gauche, entre la Seine et le jardin du Luxembourg.
C’est dimanche. Journée familiale, pour certains. En solo ou en duo pour d’autres. Foot ou jogging, Tai chi chuan ou poney, sport ou délassement, chacun use de son imagination et de ses motivations pour vaquer à ses occupations dominicales.
Puis, l’obscurité d’un couloir de RER.
Les portes des rames claquent brutalement, d’un coup sec et rapide.
La fenêtre sur la capitale se referme aussitôt. Evanouie.
Sans transition ou presque.
Aéroport Charles de Gaulle II, porte 8.
Un groupe d’africains en tenue traditionnelle s’apprête à embarquer.
Pour le Mali ou le Cameroun.
16h55. Dans une petite dizaine d’heures, l’avion approchera de la Grande Ile.
Hélas, la descente de l’appareil en pleine nuit ne nous laisse rien découvrir de notre destination finale.
Il faudra encore patienter jusque au lever du soleil pour que Antananarivo se réveille. Ville aux 12 collines, « Tana » n’est pas sans rappeler la belle « Lisboa » ou la célèbre américaine, « San Francisco ».
Mais son étonnant métissage, kaléidoscope de visages asiatiques, indonésiens, africains, créoles et arabes nous invite à un délicieux voyage, insolite, subtile et coloré, dans une très belle histoire.
Et pour mieux la découvrir selon l’art de vivre malgache (= « Mora Mora », doucement, doucement), L’Aroma Massages nous ouvre les portes de son havre de sérénité pour une séance relaxation aux senteurs aromatisées, délicieux cocktail d’huiles essentielles et d’infusion à la cannelle.
Une heure entière de pur plaisir et nous retrouvons presque l’ensemble de nos sens, malgré la toute dernière nuit blanche aérienne.
Dans la rue, taxis (2CV et 4L) et véhicules en tout genre crachent une fumée épaisse et noirâtre.
Située tout en haut de l’une des 12 collines que l’on atteint en remontant d’abruptes rues pavées, notre cantine, le Grill du Rova, nous remet rapidement en appétit. Même si le copieux petit déjeuner du matin n’est pas loin du tout…
Avec sa vue imprenable sur Tana et ses quartiers pittoresques, parsemés de maisons à l’architecture des hauts plateaux, ce patio aux allures de case réunionnaise offre à la fois plaisirs gustatifs et opportunités inédites pour palper un peu du souffle de la Grande Ile.
Les écoliers en blouse à carreaux bleu et blanc se promènent nonchalamment, les hommes se prélassent sur les bancs de placettes ombragées. Au pied des 7 collines, le vent s’engouffre sans pitié dans cette « grande bassine », une large cuvette mi-aride mi-cultivée quadrillée de rizières, faisant frémir les feuilles des jacarandas en fleurs.
Une excursion dans les environs de Tana (à 21 km au nord), à Ambohimanga, l’ancienne capitale fortifiée de la famille royale Mérina, nous accorde quelques mesures de la vie rurale et agricole.
Dans l’enceinte du rova et à côté de la résidence royale (= le Bevato), une grande case de bois de 10 mètres de haut dont les murs sont tapissés de lances, de boucliers et d’ustensiles de cuisine, la charmante résidence construite par les 3 reines Ranavalona.
La situation privilégiée de ce site historique peu fréquenté offre un panorama de collines onduleuses.
Dans les champs, les gardiens de zébus impassibles, surveillent leurs bêtes.
Sur la piste, les charrettes tirées par ces mêmes pauvres et maigres animaux emblématiques de la Grande Ile.
Mais, contrairement à la vache indienne, ils n’en méritent pas le statut privilégié d’animal sacré.
Pas de maisons à étages avec balcons en fer forgé comme sur les hauteurs de Tana.
Ici, on retrouve l’habitat traditionnel de l’ethnie des hauts-plateaux, les Betsileos ; de hautes maisons construites en brique rouge, ocre comme la couleur de la terre de la Grande Ile.

Ce soir, lorsque nous quittons la campagne pour rejoindre le cœur de la capitale dans la circulation, la lumière du soir enflamme chacune des 7 collines, dans une poésie qui laisse rêveur.
Déjà, le charme agit. Mada nous séduit et nous réunit dans une ambiance chaleureuse lors d’une veillée gourmande et animée…
JOUR II : 10/10

Malgré la fatigue du voyage et le coucher tardif, l’animation de la ville nous précipite rapidement hors du lit.
Dans l’impossibilité de maintenir un sommeil profond avec le bruit de la rue qui s’amplifie, il est grand temps en effet d’ouvrir les yeux sur l’extérieur.
Malheureusement, des soucis de logistique nous retiennent un certain laps de temps dans le petit hall bigarré de notre Cactus Vert.
Parmi les préoccupations premières du « Chef de groupe » : se procurer des espèces pour chacun de nous et obtenir des informations claires, précises et sûres auprès d’Air Madagascar, la compagnie nationale suite à l’annulation, la veille, de notre vol intérieur pour l’est du pays.
Puis, nous nous répartissons dans 2 voitures différentes pour rejoindre l’aéroport. En bord de route, échoppes, bidonville, rizières à perte de vue…le panorama hétérogène nous offre une vision plutôt « bric et broc » de la capitale, à l’image de l’état de son pays, tant au point de vue économique que social.
A l’aéroport, dans l’unique hall d’attente, nous retrouvons nos marques (pris la veille) et déposons nos affaires.
Pas de mauvaise surprise ou pas encore. Le vol est confirmé.
Nous faisons finalement escale à Toamasina (Tamatave), dont l’aéroport avait été déclaré fermé au niveau International, suite aux inscriptions pour les élections présidentielles. Tamatave étant le chef lieu de Didier Ratsiraka, cet ancien président au pouvoir autoritaire, les autorités défendaient ainsi son retour sur la Grande Ile.
Pour éviter les soulèvements et une campagne offensive.
Aujourd’hui du moins, la connexion est rétablie pour les vols intérieurs.
A bord, service impeccable. Un mobilier « tout cuir », flambant neuf.
Du « Cuir Center » « made in Mada » .
Descente sur Tamatave où le ciel orageux et capricieux ne nous épargne pas de quelques secousses.
Premiers pas en escale dans un décor hors du commun…
Les militaires veillent sur les passagers. L’entrée principale de l’aéroport est condamnée pour travaux ; sur la chaussée, le bitume est retourné comme la terre d’un champ fraîchement labouré.
Mais l’accueil fort chaleureux et atypique nous réconforte.
Le sourire des autres voyageurs, des autochtones essentiellement, leur nonchalance…
Cette courte escale respire déjà l’Afrique.
Sans aucun doute.
Le personnel de sol nous remet de façon personnelle des parapluies pour rejoindre les portes de l’avion sur la piste.
Au fur et à mesure du vol, au-dessus d’un tapis de verts éclatants, bordés par la frange houleuse de l’océan, les nuages se dissipent.
Atterrissage serein à Antalaha.
La délégation de diplomates assis dans le coin « Salon » de l’appareil est accueillie par le Monsieur le Maire entouré de son équipe, tous postés sur la piste avant même que l’avion n’atterrisse.
2e escale. Un nouveau « bain » avec la population locale et l’art de vivre malgache.
Autour du Comptoir d’Air Madagascar, un attroupement fait l’attraction générale.
Tous se bousculent bruyamment autour du jeune représentant de la compagnie malgache, assailli de tous côtés.
Impatience quelque peu similaire à celle des usagers du ter Grasse-Vintimille en temps de grève improvisée.
Finalement, après un combat acharné, tous les passagers inscrits en « surbooking » parviendront à monter à bord !
A côté de cette animosité qui ne laisse pas indemne le personnel d’Air Madagascar, les enfants jouent autour de nous, dévoilant de ravissants sourires sous de grands yeux noirs.
Ambiance « bout du monde » garantie dans cet aéroport de brousse où l’unique hall propose quelques sièges bien alignés aux couleurs acidulées, devant le « Texas Airport », un modeste bar avec vue plongeante sur la piste.
La femme d’un ami de notre « Chef de groupe » – qui nous laisse continuer seuls jusque à l’étape suivante – me promet déjà clous de girofle et amitié.

Sa beauté et sa gentillesse embaument le cœur.
Son sens du contact naturel et spontané s’engage sur un échange timide mais plein de chaleur.
Elle embarque comme nous, à l’avant de l’appareil où je me retrouve dans le coin VIP des hauts fonctionnaires expatriés.
Chacun son tour, chacun sa place !
Le temps enfin dégagé nous offre une visibilité hors pair. Nous survolons comme on rêve d’enjamber la luxuriante Amazonie, le parc National de Masoala.
La nature à perte de vue, une végétation dense, impénétrable que nourrit l’océan turbulent.
Les yeux grands ouverts nous dévorons déjà du regard ce que nous nous apprêtons à découvrir à pied durant les 10 prochains jours.
Mora Mora.
Très vite, l’avion entame la descente sur Maroansetra.
La dernière bourgade aux allures de ville « Far West » située à l’embouchure du parc de Masoala.
Ici, la route s’arrête définitivement.
Pensons aux provisions des 2 prochains jours : une séance accélérée de courses nous laisse à peine le temps de flâner sur le marché coloré.
Ombrelles et chapeaux de toutes les formes et toutes les tailles, tissus de couleurs vives, fruits et légumes, volaille.
De nouveau, un attroupement qui ne manque pas de discrétion…
Un vol à l’étalage, apparemment !
Pourtant, cette langueur à laquelle nous commençons tout juste à nous habituer plane ici encore plus qu’ailleurs.
Le long de larges allées luxuriantes, bien ordonnées, de coquettes cases créoles aux couleurs pastel nous conduisent, sous l’œil curieux des enfants et de ses habitants, à l’embarcadère, assez modeste et sommaire.
Si l’activité s’avère plutôt ralentie, le comportement du propriétaire du bateau nous réconcilie soudain avec le monde occidental.
En pleine conversation téléphonique sur son mobile, il s’agite dans tous les sens, tandis que l’équipe charge le « bateau ».
Une petite embarcation sans cabine, sorte de hors-bord plutôt moderne.
Nous pressentons comme un nouveau changement de programme…
La pluie menace notre traversée. Nous déplions pour la première fois nos capes. A peine sortis du port, nous comprenons les caprices des éléments naturels. Les lourds nuages retiennent difficilement leurs grains.
Mais la houle déverse des seaux d’eau salée entiers sur le sol du bateau.
Nous prenons cette traversée avec davantage d’amusement que de panique.
Pourtant, nos effets personnels sont littéralement trempés.
Et nous-mêmes bien douchés !
Heureusement, la côte approche rapidement.
Accostons sur Nosy Mangabe sans casse !
Nous établissons notre campement à l’emplacement prévu, sous des abris de bois, à quelques mètres seulement de la plage, sans un décor de forêt primaire.
Grâce à un climat particulièrement très humide dont nous saisissons très vite les « symptômes », cette petite île située dans la Baie d’Antongil, abrite une faune et une flore exceptionnelles, dont des espèces endémiques.
Nosy Mangabe commence à peine à faire l’attraction de cette région sauvage et isolée. Aujourd’hui, simplement une poignée de touristes expérimentés, encore très discrets !
Pourtant, ce morceau de terre de 520 ha a été rendu célèbre dès la fin du XVIIième siècle avec l’arrivée du pirate anglais John Avery. Dans la baie d’Antongil, il lança une attaque contre un Maharajah moghol en route vers la Mecque, dont il captura le butin et la fille. Puis, au XVIIIième siècle, c’est le comte hongrois de Benyowski qui créa la communauté de Louisville dans la baie du même nom, se déclarant « empereur de Madagascar » et s’enrichissant de la traite des esclaves. Autour de ces 2 figures illustres ambigus de l’époque, plane un mystère encore jamais élucidé.

A défaut de pirates et flibustiers, ce sont les éléments naturels que nous affrontons ce soir. Malgré la pluie, nous partons explorer en nocturne les secrets du sanctuaire animal et végétal de Nosy Mangabe, une véritable arche de Noé.
L’usage de la frontale collée par-dessus les capes de pluie manque légèrement d’aspect pratique.
Voici un bon baptême pour tester nos tempéraments d’aventuriers en herbe !
Après quelques pas seulement sur un petit sentier fort humide, nous croisons déjà serpents, caméléons (= le Brookesia, une espèce endémique), crabes et grenouilles. Mais, aux abords du sentier, aucun « aie-aie », ce malin lémurien nocturne, aussi beau que farouche que nous traquons impatiemment.
La pluie redoublant de plus belle, nous nous résignons et retournons au camp.
Dîner aussi rapide que l’extinction des feux qui précipite chacun sous sa tente, où l’humidité veille sur nos affaires.
Nous rêvons de chauds duvets et de soleil, bercés par le bruit des vagues, du vent et de la pluie au milieu de la nature en éveil.
JOUR III : 11/10

Mora Mora. La pluie n’a pas encore cessé. L’humidité nous imprègne des pieds à la tête, même sous la tente, de laquelle nous ne sortons que quelques heures seulement après le réveil. Les chaussures n’ont pas séché.
Le départ pour Vinavao n’aura pas lieu ce matin.
Ni notre guide ni le propriétaire du bateau ne se risqueront de partir en mer, tant que le vent n’est pas tombé.
Nous prenons donc les dispositions nécessaires pour occuper notre temps libre.
Arranger et organiser nos affaires, étendre les plus humides sur un fil improvisé entre 2 poutres puis balade sur la plage où des dizaines de troncs d’arbres morts ont échoué durant la nuit.
Seuls compagnons ce matin sur cette baie bordée d’ananas sauvages et d’ipomée, des dizaines de petits crabes-araignées qui courent dans le sable en tous sens.
Nature exubérante, impressionnante.
Et, oh, surprise du chef, tandis que l’on s’éloigne à peine sur le chemin emprunté la veille : notre première rencontre avec des lémuriens (des makis en l’occurrence).
Mâles ou femelles, avec leurs bébés cramponnés sous le ventre, ils quittent les hautes branches des arbres centenaires ou celles des arbustes dégarnis, pour s’approcher peu à peu, sans retranscrire la moindre trace plus ou moins farouche ; le jeu de la séduction a commencé.
Bientôt, ils apparaissent dans le coin de la charpente de nos abris.
Et même encore plus près : sur les chaises de notre salle à manger en à ciel ouvert…
L’après-midi, le ciel s’étant dégagé, nous osons une balade-découverte à la lumière du jour.
Pour celui qui oserait s’aventurer hors des sentiers tracés de la réserve, la végétation dense et impénétrable ralentit le pas.
Petite mise en jambes jusque aux tombeaux, slalomant entre les racines épaisses et la « chaussée » glissante du terrain accidenté recouvert de mousse.
Miracle de la nature ! Le temps de retourner au camp, le ciel s’est totalement dégagé, nous offrant un sublime coucher de soleil sur une plage sauvage qui n’est pas sans ressembler à l’anse de Deshaies en Guadeloupe.
Les couleurs flamboyantes nous offrent quelques beaux clichés, immortalisant différemment les images que nous avions sauvé le matin même.
Petit à petit, l’obscurité couvre ce décor de carte postale auquel nous ne croyions plus ; la nature s’éveille.
Nous partons pour une nouvelle exploration, équipés de nos frontales.
Plus longuement, plus profondément dans la forêt.
Nous commençons à nous sentir plus à l’aise, plus proches de cette nature insatiable. Si riche et surprenante.
La chasse au Dahut est ouverte !
Suffit-il d’y croire ? De mes yeux de taupe, je localise consécutivement le plus petit lémurien nocturne, le microcèbe roux dont les petits yeux phosphorescents s’agitent comme des lucioles, puis un drôle de lézard à la queue plate couleur tronc. Camouflage réussi !
Si l’un d’entre vous sait reconnaître le bon du mauvais chasseur, qu’il s’abstienne de tout commentaire !
Non point que nous nous sentons fort ridicules à nous immobiliser dans l’obscurité la plus totale en plein milieu du chemin. Mais la mise en pratique même assidue de la méthode Coué n’a pas toujours de résultats immédiats. Surtout, ne pas confondre persuasion et hallucination !
Les apparitions soudaines sont parfois l’association d’une imagination débordante à l’interprétation de bruits inconnus douteux.
Même si nous prenons de plus en plus confiance à cet état d’abandon au milieu de presque nulle part sauf d’une forêt primaire grouillante et exubérante, mieux vaut ne pas basculer dans la paranoïa !
Sous un ciel parfaitement étoilé, le ventre vide, les Vazahas rentrent se régaler de brochettes de zébu.
Le guide, quelque peu inquiet se réjouit de tous nous voir réapparaître sains et saufs.
Le repas est gourmand, animé et les cœurs plus légers !

JOUR IV : 12/10

Quel bonheur de se réveiller enfin sous un soleil généreux !
Notre séjour prend d’un seul coup de vrais airs de vacances !
Voici une invitation à ne pas laisser passer : embarquer dès maintenant pour remonter au nord de la côte et débarquer sur la terre ferme.
Il est temps de poursuivre notre chemin.
Quelque peu rodés suite à notre traversée « baptême », nous sommes cette fois-ci chaussés de sandales ouvertes, recouverts de capes de pluie et avons prévu de protéger sans exception l’ensemble de nos sacs qui ne se sont pas encore remis du taux d’humidité ambiante.
Au coeur de la sublime baie d’Antongil, parsemée d’îlots sauvages, la traversée commence sous des airs de croisière…
Notre « capitaine » ayant ajouté un second moteur semble ‘fin prêt à affronter les petites vagues qui se forment tout doucement.
Douces, légères et ondulantes.
Nous nous en amusons comme de jeunes enfants dans un parc d’attractions.
Petit à petit, ces vagues prennent de plus en plus d’amplitude.
L’océan se réveille dès lors que nous quittons la baie abritée d’Antongil.
De grands creux s’ouvrent à notre passage, la navire paraît minuscule.
Des gerbes d’eau recouvrent la surface, nous rinçant des pieds à la tête.
Le cauchemar reprend pour certains mais requiert cette fois-ci davantage d’endurance que notre première expérience.
Sur la côte que nous longeons à quelques nœuds de distance, les rouleaux viennent se briser comme des lames.
Le passage du Cap Masoala, sanctuaire des ancêtres Betsimsaraka, lieu sacré et « faddy« , devient une épreuve de longue haleine.
Le temps n’a plus d’odeur.
Nous fixons l’horizon. Désert, sauvage. Heureusement, le ciel est totalement dégagé. Temps au beau fixe sur la grande terre. Mais en mer…
Nous paraissons infiniment petits au milieu de l’océan, où même l’approvisionnement de gazole est périlleux (tuyau en bouche pour aspirer le liquide avant de le transférer dans les réservoirs).

La course durera au total plus de 4 heures.
L’océan démonté finit – par on ne sait quel miracle – par nous déposer sur une petite crique – 7ième merveille du monde ! – bien gardée par un comité d’accueil fort chaleureux. Du jamais vu, jamais vécu !
Une grande messe étant donné par Monseigneur l’Evêque de Diego (en balade en brousse dans le point le plus méridional du Nord-Est malgache), habits de fête et réception soignée sont de rigueur.
Les femmes, coiffées de chapeaux de paille, ont revêtu leur tenue du dimanche ; elles portent de généreux bouquets pour la cérémonie.
On remarque que les codes vestimentaires, comme l’habitat, sont encore emprunts de « vestiges » de l’époque coloniale (robes blanches à volants et chapeaux de paille et petites cases peintes avec balcons à toits pointus).
Occupées par les préparatifs, les femmes laissent aux enfants la difficile tâche de veiller sur nous, de prendre soin de notre installation temporaire dans les 2 derniers bungalows disponibles.
Entre divertissement et curiosité, la rencontre s’est créée naturellement.
Nous sommes adoptés et nous les aimons déjà.
Le déballage des affaires, le séchage sur les toits en raphia, l’usage d’objets personnels très occidentaux en public et les premières photos…
Tout n’est que prétexte au rire et à l’échange.
Le temps passe lentement et c’est tant mieux.
Le « sakava » est long à préparer, d’autant plus que les réserves ont diminué après le repas de fête offert à Monseigneur !
Improvisation totale en cuisine où tout se passe dans la bonne humeur.
A Vinavao, sourire et soleil riment avec bon-vivre.
Premiers échanges, premiers contacts depuis notre départ de Maroansetra.
Le ton du trek est donné : à nous la découverte du Cap Masoala !
Même si nos hôtes auraient préféré que nous restions davantage et si nous avons à peine marqué notre passage dans le sable de ce village de pêcheurs bordé d’un lagon lumineux, nous ne pouvons décaler une nouvelle fois notre programme.
Nous commençons la marche, tandis que le soleil décline peu à peu.
Animés d’une nouvelle motivation et saisis par la beauté de l’intensité des lumières et des couleurs, franches et lumineuses, nous marchons d’un pas léger.
Nous traversons les bras de mer qui rentrent dans les terres en marchant tantôt en équilibre sur des ponts constitués de modestes planches de bois inégales ou bien en empruntant des pirogues traditionnelles.
La cérémonie ayant attiré un grand nombre de villageois voisins, nous devrons attendre patiemment notre tour pour réaliser certaines des traversées.
La pirogue, gros tronc d’arbre creux perd toute sa stabilité dès lors que l’on défie son propre centre de gravité.
Mais après la traversée en mer réussie du matin même, rien ne peut plus nous effrayer !
Le jour descend au fur et à mesure de notre marche.
Heureusement, le chemin côtier qui relie les villages entre eux, est suffisamment large et plat pour éviter les chutes dans la pleine obscurité.
Les villageois et notre équipe de porteurs en VTT nous ont déjà dépassés depuis longtemps, lorsque nous devons impérativement allumer nos lampes frontales.
Dans ces petites huttes en raphia, la plupart du temps sur élevées au-dessus d’un sol sableux, les familles sont déjà réunies pour le « sakava ».
Les foyers brillent comme des lucioles de chaque côté du sentier et nous conduisent ainsi dans la nuit noire.
A l’approche du village qui nous héberge ce soir, Sahamalaza, une musique 100% malgache, entraînante et colorée, nous invite à partager une soirée en compagnie de nos premiers hôtes.
18h36. Son cœur s’est arrêté de battre, les lamentations résonnant dans la cour sous un ciel étoilé.
Nous attendons les faire-part de façon imminente.
Ce pauvre poulet sacrifié pour notre dîner nous a transmis ses dernières volontés. Pas tout-à-fait impassibles, assis sur de petites tabourets dans la cour obscure, nous sirotons de délicieuses bières fraîches.
Du côté de l’épicerie, le betsa (un jus de canne à sucre fermenté) a déjà quelques victimes sur la conscience.
En l’honneur de notre visite, le groupe électrogène a été mis en marche.
Un homme âgé mais pas farouche pour autant, nous invite à danser, dans la cour puis dans l’épicerie, devant le petit poste de télévision.
Notre nouvel ami offre sa tournée de bière. L’ambiance monte.
Sur le petit écran, les images de clips 100% malgaches défilent sous les yeux ravis de nos spectateurs.
Certains assis à nos côtés dans la pièce étroite unique.
D’autres, entassés autour de la fenêtre pour assister le plus discrètement possible à la petite soirée improvisée.
Les éclats de rire fusent dès que nous nous déhanchons à l’occidentale.
Les grands yeux noirs brillants et les sourires d’un blanc éclatant dans la noirceur de la nuit nous offrent une émotion unique.
Expression sincère et généreuse du plaisir de ce moment partagé.
Improvisé et réussi.
Malgré les différences culturelles et la barrière de la langue, la musique joue la carte de l’universalité ; elle rapproche petits et grands, vazahas et malgaches.
Simplicité et joie de vivre participent à la rencontre.
Une pièce beaucoup plus spacieuse nous accueille pour le dîner.
Au fond, dans les cuisines, coqs et poussins picorent les restes du « sakhava » des 5 vazas dont l’appétit n’égale pas le 5ième d’un jeune adolescent malgache.
Comme de petits nids douillets, nos coquets bungalows, récemment construits – preuve que le tourisme n’en est qu’à ses balbutiements dans le nord-est malgache – s’éteignent rapidement, tandis que les étoiles illuminent le ciel.
(Le groupe électrogène nous a simplement laissé le temps de manger « en lumière » !)
Seuls les jappements rapprochés du chien du propriétaire (attention : chien méchant !), viennent interrompre notre rêverie, nous précipitant au fond de nos légers duvets.
Espérons que les coqs choisiront la grasse matinée demain pour nous laisser reposer en paix,…n’est-ce pas ?

JOUR V : 13/10

Le murmure de nos hôtes ajouté à la lumière qui filtre à travers la fine cloison, nous mettent en éveil de bonne heure.
Tandis que nous déballons et mettons un peu d’ordre dans nos sacs, une ribambelle d’enfants sur le chemin de l’école, s’est déjà arrêtée, juste de l’autre côté de la haie, au fond du jardin.
Des dizaines de têtes brunes aux yeux noirs nous fixent avec gourmandise et insistance.
A une dizaine de mètres de là, les élèves de l’école n’ont pas vraiment attendu les petits retardataires. Les plus curieux.
C’est sous un chaud soleil que nous démarrons notre marche aujourd’hui.
Nous traversons de minuscules villages, constitués de quelques cases en raphia disséminées sur le sable blanc.
A quelques mètres seulement de l’océan.
A travers les girofliers ou les champs d’ananas, le paysage de brousse cède sa place aux cultures et plantations.
Les arbres fruitiers forment une interminable haie luxuriante et généreuse autour de notre chemin.
Lorsque celui-ci prend de la hauteur, le panorama offre un plus large aperçu de l’étendue du parc de Masoala.
Un vert intense à perte de vue, dans un paysage de douces collines.
La traversée du premier grand village fait l’attraction générale.
Avec chaque fois, ce même enthousiasme, spontané, sincère.
Pourtant, les villageois sont fort occupés à la préparation des offrandes pour la fête du retournement des morts (= le famadihana).
Dans la rue principale, à même le sol, du riz et des corbeilles de fruits ont été soigneusement disposés sur des feuilles de bananiers.
C’est l’astrologue ( = le mpanandro) qui détermine la date exacte de cette cérémonie ou « 2ième enterrement » qui a lieu plusieurs années après le décès lorsque le tombeau familial est devenu trop exigu, que les héritiers considèrent que le défunt a besoin d’un nouveau linceul, ou que celui-ci a été enterré dans un tombeau provisoire, pratique courante durant la saison des pluies pour des raisons sanitaires.
Les frais engagés pour ces célébrations qui peuvent durer 2 jours entiers sont considérables : il faut nourrir le village, payer un orchestre, faire venir un sorcier-guérisseur (= ombiazy) et sacrifier des zébus.
Toutes les générations réunies, dans cet ambiance de fête (il ne s’agit à travers ce rituel d’exprimer son deuil mais de rappeler au défunt qu’il est toujours présent dans les mémoires et par conséquent de le contenter en lui offrant des cadeaux) nous tracent une haie d’honneur à leur façon.
C’est même parfois les plus âgés qui s’improvisent interprètes.
Même sans les mots, un simple sourire ou le regard suffisent pour échanger chaleur et bonne humeur communicatrices.
A l’extrémité du village, les absents de la fête, nous jettent quelques coups d’œil timides, à travers les fenêtres des cases de bois colorées.
D’autres villages, de tailles plus modestes, ouvrent les portes de leur épicerie spécialement pour nous.
Avec un grand étonnement, nous apprenons qu’ils n’ont en stock qu’une seule bouteille de Coca-Cola pour le groupe entier.
Pas « d’eau vive » (PM ou GM) pour alimenter les gourdes vides des vazas avant le 5ième village (Ampanavoana) que nous ne rejoindrons qu’en fin de journée à la nuit tombée dans un accueil hors du commun, inattendu.
En attendant la réhydratation, nous profitons de la variété et de la douceur des paysages.
Le chemin traverse une très belle forêt d’arbres du voyageur (= ravinolas, des cousins du bananier), ces grandes palmes en éventails géants fort caractéristiques du paysage malgache qui servent pour la fabrication des sols, toits et murs de l’habitat dans les régions côtières.
Puis, le sentier emprunte un sous-bois qui permet de déguster de délicieuses zones d’ombre et de fraîcheur fort apaisantes.
Sans pénétrer la végétation dense qui borde notre piste, ni nous éloigner en pleine nuit sur les traces du Dahut, notre guide et nous-mêmes sommes témoins d’une rencontre fort insolite.
Dans les bras d’une jeune fille, un bien doux lémurien, le « Vari Roux ».
Une véritable peluche plutôt docile au minois barbu et au visage tricolore.
Un visage tellement attendrissant…
Pas si étonnant que le mignon animal ait été apprivoisé !
Outre une longue et brune couleuvre, la faune est plutôt timide aujourd’hui.
Notre marche a pour point d’orgue ce soir, un charmant et grand village situé en bordure de l’océan.
Les lames se déchaînent sur le rivage et le vent ramène quelques nuages vers la terre. Avant l’averse, nous avons juste le temps d’assister à la visite d’une baleine à bosse, au large de la plage.
Elle a choisi cette baie sauvage et ventée pour faire ses longueurs, à grands coups de queue.
Peut-être est-elle même venue s’accoupler ou mettre bas comme les 10000 à 15000 membres de son espèce qui migrent chaque année entre les mois de juillet et de septembre, parfois à plus de 6000 km de leur point de départ ?
Même les villageois ne se lassent pas du spectacle, fixant l’horizon avec la même intensité que nous.
Comme une fois n’est pas coutume, Monseigneur de Diego a choisi ce soir les mêmes hôtes que nous.
Il nous précède encore de peu mais cela suffit à perturber le quotidien d’un village entier. Même scénario qu’à Vinavao.
De quoi sera composé notre « sakava » ce soir ?
Mais n’est-ce pas un prétexte pour cuisiner le plus simplement possible ou Monseigneur a-t’il réellement grand appétit ?
Le temps présent est roi, répète notre guide.
Il faut s’adapter car rien n’est jamais sûr ni vraiment programmé.
Sylvia, aussi souriante et chaleureuse que Marie-Hélène de Vinavao, trouve des solutions à tous les problèmes !
Et, c’est comme des rois que nous nous installons dans de spacieux bungalows, à quelques mètres seulement de la plage.
En fin d’après-midi, une courte balade à la découverte du village, nous mène dans une nouvelle « récréation ».
Dans un bâtiment qui fait office de « salle des fêtes » à ciel ouvert, un concert-live est organisé, à la grande joie de tous.
Tous, à l’exception de ceux qui n’auraient pas les moyens financiers de se payer les droits d’entrée.
Physionomiste oblige ! Malgré nos tenues vestimentaires peu réglementaires, notre visite ne passe pas inaperçue.
Si le jeune groupe qui anime l’assemblée met l’ambiance avec savoir-faire et professionnalisme, tous les regards ne manquent pas de se river soudain sur les derniers gradins, en-haut desquels nous sommes perchés.
La jeune fille de 3 ans au plus de la jeune malgache debout à mes côtés, est conduite sur la scène où elle se laisse entraîner sur les rythmes de la musique de ces fabuleux « taxi-boys » : une excellente prouesse !!
L’étonnante rythmique et le déhanchement de ce bout de chou en robe blanche à froufrous, ne manquent pas de nous surprendre.
Petit à petit, la fête gagne les gradins.
Un groupe d’adolescentes rejoint la scène et le public entier se retrouve entraîné dans une danse torride et ensoleillée.
Comme tout à une fin, les portes de la salle emménagée spécialement pour l’occasion, ferment dès la nuit tombée. Pas d’after ce soir !
Comme des guirlandes de Noël, les lucioles brillent de tous feux, sur un épais tapis de bruyère.
A la fin du dîner, la soirée s’anime en musique, alternant chansons malgaches et répertoire français.
Le betsa coule à flots, la guitare donne le la et les rires résonnent en refrain à cette heureuse journée.
Avec la nuit, nous nous endormons, bercés par le ronronnement de l’océan et de l’averse de mousson qui rafraîchit notre jolie maison.
Douce nuit…Faites de beaux rêves au pays de « Mora Mora » !!!

JOUR VI : 14/10

Dès que les premiers rayons du soleil filtrent à travers la cloison de bois du bungalow, nous ouvrons grand la porte pour respirer l’air des embruns de l’océan.
Captivé par l’horizon, un attroupement de malgaches suscite toute notre curiosité, encore légèrement embrumée.
Une baleine offre son spectacle matinal ; un ballet aquatique fort séduisant.
Nous partageons ensemble ce moment d’émotion, comme de jeunes enfants.
Un moment d’une simplicité extrême mais tellement extraordinaire !
La lumière exceptionnelle qui s’engage à travers un ciel chargé de nuages sombres confère une atmosphère quasi irréelle, intemporelle.
Majestueux décor…
Un réveil si doux ne peut exister que dans les rêves, et pourtant…
Moins surprenante, la surprise du jour : les gâteaux à la banane commandés la veille ne sont pas servis ce matin.
Peut-être les goûterons-nous à l’étape suivante ?
En même temps, ce village embaume davantage la vanille que la banane.
En bordure de la rue principale ou à l’intérieur des modestes cases en raphia, les gousses sont séchées sur de grandes nattes puis triées et rangées dans des cageots de bois.
A sa texture fort grasse, on présume l’excellence de la qualité de la récolte.
Les quantités enivrent presque autant que leur délicieux parfum.
Des épiceries de taille moyenne (TM en langage malgache), proposent toutes sortes de produits ou ustensiles.
Mais pas grand choix d’objets utiles pour le quotidien d’un vazaha
L’eau minérale commence à se raréfier.
Tant pis, nous prenons goût à l’eau de riz, cette eau obtenue en ajoutant de l’eau bouillante au liquide restant dans la casserole à la fin de la cuisson du riz…(= rano vola).

Entre mangrove et océan, des bras de mer traversent les terres formant de grandes langues de sable bordées de palétuviers.
Vogue pirogue, vogue !!!
Les traversées sont très certainement moins périlleuses que les passages à gué.
Mais quand l’averse redouble, nous sommes bien contents de nous réfugier à l’abri de la pluie et du vent dans une minuscule case très sombre.
Un refuge sommaire bienvenu qui active encore une fois les opportunités d’échange.
Peu à peu, nous quittons la côte sauvage où l’océan déferle des lames sur le sable, formant de grands cercles dans le ciel.
A travers l’épaisse végétation, on devine de secrètes criques sauvages.
Les tons émeraude et la côte escarpée rappellent très fortement le littoral breton.
Nous nous aventurons dans l’une d’elles qui recèle un étonnant refuge : des tombeaux Betsimsaraka.
Nichés au creux d’un rocher mais exposés à l’air du grand large, de grandes boîtes en bois, pareilles à des coffres au trésor, contiennent encore quelques ossements d’époque.
Mais, en moins d’un an (photos à l’appui), l’érosion a détruit quasi la totalité de ce trésor exposé à ciel ouvert.
Au fur et à mesure que le ciel se découvre, notre sentier côtier fort arboré (nombreuses espèces de hautes plantes grasses), bordé d’arbres du voyageur (= ravinala), débouche doucement sur le lagon.
Turquoise, translucide.
Une large plage de sable blond recouvre une eau cristalline.
Les désirs de baignade s’éveillent. Après ces longues heures bien arrosées, la tentation refait surface.
Mais ce n’est pas encore pour cette fois-ci !
Pourtant, le meilleur moyen de résister à la tentation, c’est d’y céder…(Oscar Wilde).
Plonger la tête la première et nager.
Mais je ne suis pas seule et nous ne se sommes pour une fois pas seuls non plus.
Notre chemin croise celui d’un groupe de marcheurs réunionnais qui parcourt la péninsule de Masoala dans le sens inverse au nôtre.
Nous échangeons nos impressions avec animosité.
Ce sont des amis de notre guide qui n’en sont pas à leur première aventure malgache.
Sur la plage, durant cette courte rencontre, les enfants nous entourent.
Nous serions bien restés un peu plus longtemps.
A quelques mètres seulement de la plage, les pêcheurs font griller le fruit de leur pêche.
Des dentitions impressionnantes nous fixent à travers les flammes.
Un barbecue en plein air : tellement mieux qu’un resto de plage privée où l’on ne déguste que la note !
Notre guide en profite pour acheter un poisson de taille, un athlète !
Il lui tient facilement compagnie jusque l’étape suivante.
Sur le chemin, nous prenons le temps d’observer la flore riche en orchidées et en plantes odorantes aux vertus extraordinaires.
Une véritable pharmacie en libre service ! Mais sans le Vidal malgache, nous sommes bien démunis…
Nous recueillons également un joli caméléon femelle dont l’agilité développée grâce à ses pattes fort larges, articulées et puissantes comme de petites palmes, amuse toute la galerie.
A Fampotakely, le village suivant, où nous posons le camp, une nouvelle surprise nous attend. Les prévisions de notre équipe chargée de la logistique défie les statistiques.
Sur le terrain, les faits n’atteignent pas les hypothèses.
La « structure légère » prévue en guise d’hébergement dans le cadre du projet pilote de développement éco touristique n’a finalement pas encore été construite !
Aussi, comme nos hôtes, toujours aussi aimables et attentionnés, nous devons faire preuve d’adaptation plus que d’ordinaire.
Patience partagée dans un premier temps, durant la préparation du « sakava » par notre famille d’accueil.
Visite de l’épicerie « du coin »…A défaut de bouteilles d’eau, nous repartons avec une réserve de Coca-Cola light.
Dans cette cabane colorée, l’ambiance est chaleureuse et grâce à nous, un peu moins morne.
Notre équipe de porteurs a choisi cette tranquillité pour prendre l’apéritif.
Mora Mora. Derrière leurs voix, un poste de radio diffuse le programme national : une émission pour enfants dont nous ne percevons qu’un brouhaha peu audible. Cependant, la musique et les rythmiques de la bande son rappellent les réclames des années 60.
Des comptines pour les gens de bonnes manières…
Retour à la « cour d’attente », un charmant jardinet fleuri en bordure du chemin, où un véritable rassemblement ne perd pas une miette de nos actes et gestes.
Ils observent timidement, se rapprochent, cherchent le contact puis repartent dans des éclats de rire naïfs et enchanteurs.
Tandis que les filles suivent le coup de crayon de notre dessinatrice en chef, les garçons commencent une partie de billes, celles que nous leur avons tout juste offertes.
Après le « Sakava », la sieste. Mora Mora, toujours…
Notre bungalow est une case en raphia où poules et poulets picorent sur le plancher, dans un décor 100% malgache.
Première vraie nuit chez l’habitant. Authentique et franchement pas organisée et c’est cela même qui nous plaît.
A défaut de repos, nous trouvons de la compagnie. Les enfants nous ont suivi et prennent la suite de nos pas lorsque nous improvisons une excursion vers la plage. Nous nous arrêtons donc sur le terrain de foot où la lumière embrase la verdure dans une beauté extrêmement poétique.
L’émotion n’en est pas moins touchante.
Chansons françaises, cours de chants en canon et gymnastique pour tous.
Les éclats de rire fusent de nouveau. Autant du côté des filles que dans le clan des garçons. Nous sommes presque autant touchées par la joie qu’ils expriment à jouer à nos côtés qu’à leur attitude particulièrement réceptive, attentive.
Très vite, ils se prêtent au jeu, apprennent et retiennent.
L’enseignement est gagné pour les 2 partis !
La classe terminée, nous tentons de rejoindre une nouvelle fois notre bungalow. Les poules picorent encore devant le pied de la porte.
La nuit que nous nous apprêtons à savourer en trio est plutôt unique.
Nos voisines retrouvent même après le repas du soir, un vieux chien totalement endormi sur le paillasson. Comme un chat posté amoureusement sur son radiateur.
Si les petits chiots de notre propriétaire se sont déjà réfugiés dans un abri pour la nuit, les perles phosphorescentes des chats du village nous guident sans trop de difficultés jusque à notre vestibule.
Jamais autant de regards ne nous ont fixés en une seule et même soirée !
Nous nous endormons rapidement, avec l’espoir que le ciel chargé d’étoiles puisse nous promettre une belle journée ensoleillée !
JOUR VII : 15/10

Notre village d’accueil qui, la veille, nous paraissait de taille plutôt modeste, s’avère finalement assez étendu.
A notre passage, les regards absorbent chacun de nos mouvements, chacun de nos gestes.
Parfois, les enfants se précipitent même sur nos pas.
Tantôt, ce sont les femmes occupées à tisser l’osier ou à trier la vanille qui cherchent à capter, même un court instant, une partie de notre attention.
Les bungalows colorés se succèdent mais ne se ressemblent jamais.
Les palmiers et cocotiers offrent un agréable coin d’ombre aux maisons.
Le rythme nonchalant distille un air de « bout du monde ».
A l’extrémité du chemin, de nouveau, un bras d’eau.
Une fois traversée, celle-ci nous conduit vers un univers encore différent.
Le « sentier du littoral » que nous empruntons traverse tantôt des plantations d’ananas ou de bananes, tantôt un sous-bois particulièrement odorant.
La promenade tranquille et agréable prend un air de balade dominicale mais dans un cadre autrement plus exotique qu’une forêt de conifères.
D’ailleurs, c’est aujourd’hui dimanche.
Voici une semaine déjà que nous avons pris la route.
Pourtant, la rupture avec les trivialités urbaines semblent plus lointaines.
Le dépaysement et la culture locale n’y sont sans doute pas en rien responsables.
Le temps présent est roi et nous l’apprécions à sa juste mesure.
Même lorsque une nouvelle averse nous surprend à l’entrée de Antanjokatafana, le second village pilote du projet de développement écotouristique de Libertalia (l’association organisatrice missionnée par Club Aventure).
Notre guide laisse le soin au comité d’accueil de prendre le relais, tandis qu’il retourne en brousse, à la quête de vanille fraîche et d’eau potable.
Notre stock « d’Eau vive » étant quasiment épuisé, le réapprovisionnement devient urgemment indispensable.
L’averse une fois terminée, nous découvrons avec enchantement le cadre de nos 2 prochains jours.
Nos tentes sont déjà montées sous des abris en raphia, juste face au lagon.
A perte de vue à quelques pas devant nous, une étendue turquoise translucide devant laquelle les enfants du village s’exercent au cerf-volant.
Une première baignade sous les cocotiers assouvit un temps les premiers fantasmes de sable blanc et d’eaux cristallines qui sévissaient depuis quelques jours et surtout depuis les dernières heures.
Après un goûteux « sakava », nous explorons les recoins du village.
Un match de football oppose l’équipe « Club Aventure » à une sélection de joueurs 100% locale.
Nous visitons également les vestiges de l’ancienne école et les nouveaux locaux, un simple mais vaste préau récemment construit, nettement plus large et solide que le précédent.
Depuis le dernier cyclone Hudah en avril 2000, qui tua dans cette région plus de 20 personnes et fit 300.000 sans-abris. L’instituteur travaillait dans des conditions fort précaires et insuffisantes pour dispenser des cours à tous les élèves à la fois.
Aujourd’hui, l’aménagement des locaux n’est pas encore abouti mais la reconstruction de l’école a fait tout doucement son chemin…. Comme le sentier qui borde le lagon où les arbres déracinés gisent comme un champ de bataille.
A l’extrémité nord du village, en bordure de la crique paradisiaque où nous avons goûté l’eau pour la première fois, Joseph a déjà lancé la construction de ses bungalows.
Un projet touristique parallèle à celui de Libertalia mais sans la dimension éthique écologique et responsable pour les villageois.
L’objectif, outre l’aide première apportée, étant de les sensibiliser à long terme à l’impact d’une telle entreprise dans leur quotidien, pour mieux faire face aux problèmes économiques et politiques de la région (chute du prix de la vanille et baisse de l’exportation du bois précieux en raison de la forte déforestation) mais aussi et surtout à privilégier l’éducation des enfants.
Les nouvelles générations semblent adhérer à cette problématique et aux moyens proposés pour y remédier.
Par manque d’infrastructures (route coupée depuis Antalaha), le village ne peut profiter d’aucune mesure du gouvernement malgache, malgré la campagne de l’actuel président pour équiper l’ensemble des enfants du pays en fournitures scolaires (1 cartable + 1 trousseau par enfant).
En attendant la journée des inscriptions à l’école prévue le lendemain, c’est avec une joie exceptionnelle que rayonne le cœur des enfants sur cette langue de sable qui borde le lagon.
A la nuit tombée, les lucioles volent comme de petites fées sur le jardin d’Eden d’Antanjokatafana, diffusant un parfum de volupté rythmé par le doux grondement de l’océan.
Le vent pose un léger souffle sur les branches des palmiers.
Le ciel scintille au-dessus de nos têtes qui s’endorment, pleines de rêves…
JOUR VIII : 16/10

Ce matin, le soleil se lève encore plus généreusement sur la baie splendide secrètement cachée d’Antanjokatafana.
La lumière confère à la fois des airs de bout du monde, avec cette image paradisiaque qui illustre grand nombre de cartes postales.
La beauté des eaux cristallines rivalise avec le charme de la Côte d’Emeraude.
L’absence de bruit participe à ce sentiment de solitude et de plénitude.
Les pieds dans l’eau, face à cette étendue turquoise, le passé n’est plus.
Le dicton « Mora Mora » prend enfin tout son sens.
Le temps présent semble ralenti, éternel.
Comme ces cerfs-volants qui flottent au plus haut point dans le ciel sous les yeux fascinés des enfants.
L’appel de la mer nous mène dans une exploration unique, une véritable réplique des naufragés du Bounty.
Le fantasme de la barrière de corail, de la pêche à la langouste en apnée au-milieu des poissons tropicaux.
L’aventure prend parfois des proportions exceptionnelles non mesurables mais grandioses à tous les sens du terme.
Hors de l’ordinaire.
Mais qui un instant aurait imaginé le sort de cette pirogue totalement ensablée, laissée à l’abandon dans la vase, soudain pilotée par le Capitaine Jublain et son équipage ?
Si une pieuvre géante (tels les monstres décrits par Jules Verne dans ses plus grands récits d’aventures) n’avait pas capturé les pagaies de nos apprentis piroguiers, la panique serait-elle seulement montée à moins 30 mètres du rivage, dans une eau à peine profonde de 50 cm ?
Pourtant, Capitaine Jublain aura bien tenté de ne pas dériver dans les courants, en lançant à plusieurs reprises sa nasse, dès la moindre petite vague se formant à la surface.
Comment l’équipage aurait-il pu éviter les regards ironiques des 5 pêcheurs confortablement installés à l’ombre d’un palmier sur la plage, lorsque une partie des naufragés apprenait à revenir à la nage sur le rivage ?
L’épisode mérite un chapo spécial dans le récit de notre périple malgache.
Nous ne manquons pas d’ailleurs d’y faire référence à plusieurs reprises, dans la suite de notre séjour.
Une baignade dans les eaux limpides nous réconcilie rapidement avec les joies du lagon.
Les poissons – apeurés sans doute par l’étonnante manœuvre de ces novices piroguiers – s’étant réfugiés de l’autre côté de la barrière de corail, en même temps que soufflait le vent, le masque est encore une fois superflu.
Notre accompagnateur improvisé, l’un des porteurs de l’équipe, est aux petits soins avant, durant et après la baignade !
Sucre de canne à volonté dégusté à l’ombre des cocotiers, face à la grande bleue éblouissante.
Après le « sakava », la chaleur étant à son zénith, un rythme nonchalant s’installe sur le paisible village d’Antanjokatafana.
Le vent a dégagé le ciel de ses nuages menaçants. La forte luminosité crée des contrastes éclatants, saisissants.
Mer turquoise et vert intense se marient dans une poésie exotique et sereine.
Les enfants ont investi la langue de sable et s’adonnent à des jeux de plage avec une naïveté insouciante, si belle.
Ballon, cerfs-volants ou cabotage en pirogue : petits et grands jouent la carte de la complicité avec une légèreté enfantine intense.
Jusque au coup de sifflet, au signal de départ.
Cet après-midi, le fondateur et copilote du projet de Libertalia organise un atelier de confection de cerfs-volants dans la nouvelle école.
Assis par 4 ou 5 sur un banc, les frères ou les sœurs sur les genoux, les enfants ne nous quittent pas un instant du regard durant toute la séance de travaux pratiques.
Dans une concentration absolue et avec une application déterminée, ils sont ravis d’apprendre à découper, à colorier et à assembler leurs cerfs-volants conçus uniquement avec des matériaux locaux.
La récompense, tant pour les initiateurs et les participants que pour les enfants, est le moment de tester les cerfs-volants sur la plage.
Malheureusement, la nuit descend très vite sur notre village d’adoption.
Poissons grillés régalent les amateurs de produits de la mer.
Ici, les repas sont plus goûteux et plus diversifiés que dans la brousse.
Et la bière fraîche anime rapidement la joyeuse tablée.
Ce soir, après le « sakava », c’est autour de cette même table que nous accueillons une délégation de parents d’élèves, ainsi que l’instituteur du village.
Nous soulevons les différentes problématiques rencontrées par les villageois et proposons des actions concrètes pour les aider à pallier à ces difficultés, celles-ci entravant l’accessibilité à l’éducation aujourd’hui réservée à une toute petite part de la population.
Cette réunion a d’autant plus d’intérêt puisque c’est ce jour précisément qu’ont eu lieu les inscriptions à l’école.
Le nombre d’inscrits s’élevant à 20 enfants seulement, le résultat n’est pas du tout satisfaisant ; l’association des parents d’élèves (la FRAM) ne pourra assurer seule l’indemnisation du professeur, s’élevant à environ 30€ par mois.
Ainsi, dans l’optique de maintenir au minimum le poste de l’instituteur, Libertalia propose de reverser une partie du montant des voyages pour l’équipement scolaire sous la forme d’une taxe de séjour.
Mais surtout de mettre en place rapidement ce projet de bungalows en faisant participer le village tant dans la construction et la logistique du système de location, afin d’arriver à une autogestion dans un plus long terme.
La 3ième étape du projet, sur laquelle travaillent les stagiaires Libertalia, c’est de découvrir et de mettre en avant le potentiel touristique de la région pour y développer une nouvelle économie.
Avec ce même objectif de sensibiliser les villageois au tourisme, leur faisant prendre conscience des intérêts et des curiosités naturels que recèlent leur village, tous plus que les autres susceptibles d’intéresser les touristes de passage.
La réunion semble concluante : la délégation de la FRAM promet de revenir vers Libertalia dès le lendemain matin, avec sa première « liste de courses », soit des matériaux et accessoires nécessaires pour le fonctionnement de l’école mais introuvables en brousse.
Séance levée. Pour fêter ce « grand pas » dans le projet imaginé par Yann lors de ces 4 dernières années, notre ami de Diego, le bien-nommé Gérard, sort sa guitare et la bière coule à flots jusque tard dans la nuit…
JOUR IX : 17/10

Ce matin, la mer est trop basse pour explorer le lagon.
Quelques pêcheurs matinaux rapportent poulpes et coquillages.
Dans la grande baie turquoise, c’est une toute autre ambiance qui règne ce matin, une atmosphère très insolite qui disparaît au fur-et-à-mesure que le jour s’installe définitivement.
Au retour d’une baignade furtive, j’enregistre dans mes tablettes un nez-à-nez fort impromptu avec un reptile monstrueusement bien membré.
Même si les serpents de Madagascar sont connus pour être inoffensifs, le boa (= Acrantophis madagascariensis) n’est certes pas un animal domestique si ordinaire pour un simple vazaha de passage.
Cependant, nous pouvons éprouver une certaine fierté lorsque les « autorités » du village nous proposent une excursion vers l’un des sites sacrés historiques, encore à l’abri des médias et des scientifiques.
Cet endroit dit « faddy » n’est pas accessible aux enfants ni ouvert aux étrangers non accompagnés par les représentants du village.
Son accès difficile préserve justement son caractère sacré.
A chacune des visites, un cérémonial s’impose. Il débute face à la mer, soit en direction de l’est, par une prière à destination des ancêtres malgaches puis occidentaux (ceux dont les ossements ont été déposés dans les tombeaux lors du retournement des morts).
Ensuite et seulement, nous buvons la même mixture offerte en offrandes : le toaka gasy, le rhum local sucré par quelques cuillères de miel.
Dans la bouche subsiste un goût âpre et très fortement alcoolisé.
Sous un rocher plat comme une dalle, gisent des bouteilles et de la vaisselle chinoise en porcelaine.
Une récente expertise a révélé que leur origine datait de la fin du XVIIième et début du XVIIIième siècles, époque de Libertalia, la plus grande République Pirate de la Grande Ile (parmi les noms les plus célèbres, John Avery, Thomas White, Olivier Levasseur dit « la Buse »), reconnue pour piller, les navires naviguant par le Cap de Bonne Espérance, entre l’Europe et l’Extrême-Orient.
Ce maigre « trésor » actuel ne représente qu’une infime partie seulement des trésors que les navires hollandais transportaient sur la route des épices.
L’histoire exacte, malgré des preuves encore visibles et palpables (origine du pays des bouteilles et le nom de leur marque) grâce à l’expertise d’un spécialiste de Diego, reste encore difficile à reconstituer.
Pourquoi les tombeaux ont-ils été déposés sous un rocher et non comme le dicte le rituel sur une falaise à l’air libre au-dessus de la mer ?
Pourquoi des occidentaux ont-ils enterré leurs morts selon le rituel Betsimsaraka ?
Certains mystères continuent à planer sur cette découverte qui, comme beaucoup d’autres dans la région, restent sous silence.
Mais si une chose est bien sûre, c’est que nous nous trouvons précisément sur l’ancien territoire des bandits, pirates et autres flibustiers, au cœur de l’un des repaires historiques qui marqua profondément l’histoire de la Côte est de Madagascar et des Betsimsaraka.
Emportant le secret dans notre cœur et nos esprits, nous quittons un peu nostalgiques le village de Antanjokatafana et poursuivons notre avancée vers le nord du Cap Masoala, toujours entre brousse et océan.
Traversées de rivières ou de passages boueux, sentiers cheminant à travers les plantations : la marche alterne paysages luxuriants et rencontres inédites dans un tableau champêtre paisible.
En cours de route, un incident technique inévitable provoque fous-rires et moqueries… les semelles de mes chaussures rendent l’âme sans préavis.
Cela signifie t’il que je dois renoncer aux us et coutumes occidentales pour préférer la mode africaine ?
Si marcher pieds-nus s’avère un jeu d’enfants, la course à « l’Eau-vive » nous amuse un peu moins.
Les stocks d’eau minérale s’épuisant de façon inversement proportionnelle aux températures, l’urgence devient vitale.
A défaut d’eau potable, les randonneurs du dimanche que nous sommes rechargent les batteries avec le Cola local.
Etonnant régime pour des « sportifs », mais adopté rapidement, surtout lorsque aucune autre alternative ne s’était présentée en traversant les villages précédents.
C’est avec le coucher de soleil que nous atteignons notre prochain « village-étape », Rastiaranara, construit en bordure de l’océan.
Côté mer, une plage de sable noir dans une baie secrète mais peu abritée du vent.
Côté village, la place publique aménagée autour d’un vieil et magnifique arbre qui réunit petits et grands dans l’amusement et la joie.
De charmantes cases colorées tout de bois vêtues diffusent de la musique traditionnelle malgache.
Un accueil des plus chaleureux !!
Rendez-vous Chez Madame Florentine pour goûter davantage de cette bonne humeur locale.
Bien que minuscule, la salle de restaurant invite à la détente ; les murs recouverts de couleurs très vives et sa décoration excessive – un étalage de bric et de broc dans chaque coin de la pièce unique – lui donnent un caractère plein de charme et sympathique.
Tout pour se sentir à l’aise dès la première minute !
Le plus jeune fils, âgé de 3 ans au plus, nous offre pour l’apéritif, un véritable spectacle de danse.
Avec un sérieux imperturbable, il se déhanche sur ses petites jambes fluettes au rythme de la musique. La musique dans le sang, on ne peut en douter une seconde…
De notre côté, l’ambiance joyeuse au rendez-vous, nous fêtons en musique et en paroles notre dernière soirée en compagnie de nos porteurs.
La grande épicerie tenue par une jeune malgache bien en chair, souriante et généreuse, fournit son stock de bières fraîches jusque au petit matin, épuisant sans doute les réserves de tout le village.
Dans nos bungalows individuels, je compte les heures pour lutter contre l’insomnie, avec pour compagnie, un petit scolopendre à demi-endormi au pied de mon lit.
JOUR X : 18/10

Dès le lever du jour attendu avec impatience, je me précipite sur la plage découverte par la marée basse.
Sous un ciel légèrement couvert, les pêcheurs apparaissent au loin en ombres chinoises. Celles-ci semblant flotter comme par magie au-dessus de la barrière de corail.
Sur le rivage, les plus matinaux ont déjà débarqué et trient la pêche toute fraîche encore maintenue prisonnière dans leurs filets.
En longeant la côte plus vers l’est, une autre baie – non sans rappeler les paysages bretons à marée basse – recèle une cale abritée où gisent de vieilles boutres dans la vase.
Un cliché pourrait immortaliser facilement un dossier spécial dans le magazine « Le Chasse-marée », titre favori des amateurs de voile et de bateaux de pêche de l’hexagone.
En retrait de la place publique de Ratsianarana, dans un enchevêtrement de petites rues de terre, le petit matin dévoile quelques scènes de la vie quotidienne de ce village de pêcheurs.
Ce calme étonnant diffuse une quiétude matinale exceptionnelle. Appréciable.
Impossible d’imaginer qu’à quelques mètres seulement de là, la musique vibre déjà Chez Madame Florentine comme la veille au soir.
Les villageois – essentiellement des enfants, le cartable sur le dos – se sont donnés rendez-vous sous le grand préau ouvert face au restaurant, tandis que notre danseur favori a déjà entamé sa chorégraphie.
Nous l’accompagnons sur quelques morceaux, dans une bonne humeur générale. Devant le « spectacle » improvisé, un certain nombre d’entre-eux accompagnés de leurs aînés se sont rapprochés plus ou moins timidement.
De l’autre côté de ce périmètre voué à la rencontre, le reste de notre équipe tente tant bien que mal à émerger.
Notre énergie tend à les épuiser en un rapide coup d’œil seulement.
Après le déjeuner, sans attendre un regain d’énergie miracle, notre taxi-brousse, un véhicule Peugeot 404 ou 504 (un pick-up dit « bâché » dans le vocabulaire usuel malgache), est chargé de nos affaires, prêt à démarrer.
Notre chauffeur, un homme plutôt sec et âgé a été missionné pour nous conduire jusqu’à Antalaha, à travers la brousse.
Acceptant toujours d’assurer la liaison sans jamais tenir compte des conditions climatiques, cet homme doit également sa réputation au rôle social qu’il tient dans cette région particulièrement isolée, Ratsianarana étant le dernier village du Cap de Masoala accessible par la « route ».
En effet, il profite de ses déplacements pour distribuer le courrier où diffuser les nouvelles.
Sa ponctualité extrême déroge aux us et coutumes malgaches : Mora-Mora.
Nous l’avons d’ailleurs contacté sur notre chemin, via un « messager » qui se rendait à vélo à Ratsianarana.
Ses deux fidèles et inséparables acolytes l’accompagnent dans sa course folle de village en village.
Dès que les ponts manquent de stabilité où la route d’irrégularité, ces deux hommes sautent en courant du véhicule pour ajuster les poutres ou obstruer les trous, dans un assemblage aléatoire à usage très éphémère.
Ils bondissent de nouveau, tantôt sur le toit, tantôt cramponnés d’une main agile à l’extérieur du véhicule toujours en marche.
En fonction de l’état du terrain fort dépendant des conditions climatiques du jour, le temps de marche peut égaler le temps passé dans le taxi-brousse.
Heureusement, les faibles précipitations de la veille nous soulagent de la lourde tâche – pourtant authentique et caractéristique de la Grande-Ile – qui consiste à pousser le véhicule et son chargement.
Chaque traversée de rivière mérite aussi le coup d’œil…
Parfois, les « passeurs » utilisent une grande perche pour faire avancer péniblement les cargaisons chargées sur le bac.
La technique fait penser aux « ponts de singe », ces techniques ingénieuses que l’on trouve en France dans les parcours type « accro-branches » ou les via-ferrata.
Le bac glisse sur l’eau par la force des bras des passeurs qui tirent sur un bout à demi-enfoui dans la vase.
Avec des bidons d’essence d’une capacité extrêmement réduite, il est souvent nécessaire de réapprovisionner le réservoir du bâché de ce liquide qui fume en répandant une odeur peu légère.
Lorsque des bruits suspects viennent perturber la nonchalance du chauffeur, l’équipe use de son savoir-faire pratique pour réparer en deux temps trois mouvements, ce qui pouvait être l’origine d’une potentielle panne.
Rien n’exclut bien sûr, que les mêmes symptômes ne réapparaissent pas dans l’heure qui suit la manœuvre.
En effet, le véhicule peut reprendre la route, jusque à l’épisode suivant.
C’est la preuve pétaradante du savoir-faire mécanicien malgache.
En tant que vazahas bien encadrés, nous profitons du privilège de voyager en équipe réduite. A noter que le nombre de passagers habituel d’un taxi-brousse pouvant dépasser les 14 personnes.
Un voyage donc presque confortable sur les 2 bancs disposés dans le sens de la longueur sous la bâche.
Sur le chemin, les paysages défilant lentement, nous nous régalons des scènes de vie rurales et de celles des pêcheurs de la côte.
A chacun des villages traversés, les enfants courent derrière le véhicule, le rire aux éclats.
Le passage d’un taxi-brousse « spécial vazahas » est un événement bienvenu qui distrait un bon instant les villageois.
L’occasion, peut-être, de récolter une histoire supplémentaire dans la journée à raconter le soir dans sa case en raphia.
Sur le toit de la Peugeot, le poisson de Gérard sèche autour des sacs installés en quinconce dans l’équilibre le plus précaire qu’il soit.
A l’avant du véhicule, trône avec élégance et grâce, notre « Reine-Mère », semblant ressuscitée de l’époque coloniale.
Mais si le plaisir intense dû à la découverte et aux émois de notre « première » (en taxi-brousse) nous distrait dans la bonne humeur – il est bien important de souligner qu’à défaut d’être reposant, ce type de voyage possède un certain charme – nous sommes aussi ravis de constater que la route soudain, s’élargit.
Les bungalows ont fleuri après Cap-Est ; les tenues vestimentaires sont accommodées avec davantage de soin et de coquetterie.
La ville se rapproche.
Nous reconnaissons la piste de l’aéroport perdue dans un écrin de verdure à la sortie de la brousse.
Antalaha embaume la vanille. Mais c’est une autre histoire qui se trouve à présent derrière nous. Avec une odeur encore plus belle, plus insolite.
Un copieux et raffiné déjeuner dégusté à l’heure espagnole (malgré la ponctualité de notre chauffeur et le peu de mésaventures rencontrées sur la route), nous réconcilie avec certains des plaisirs occidentaux.
Cependant, malgré sa réputation internationale et son statut de capitale de la vanille, Antalaha nous apparaît comme une modeste bourgade qui profite d’une position stratégique dans ses échanges commerciaux.
Le marché – qui semble avoir perdu de son animation à cette heure tardive de la journée – est réduit à un tout petit périmètre et dénué de grand intérêt.
Le seul et unique « cybercafé » de toute la région a gardé ses portes grandes ouvertes.
Pourtant, faute de personnel suite à un départ en vacances, les connexions internet sont en stand by jusque au retour des « responsables » de la salle et plus spécialement des machines.
Dommage, une dizaine de postes semblaient tout-à-fait fonctionner !
Concurrent de la Française des Jeux, la Malgache des Jeux s’est offert un affichage permanent dans la ville.
Côté mer, si le ciel est légèrement couvert en cette fin de journée, nous devinons que la transparence de l’eau égale les fonds turquoise du reste de la côte.
Quelques boutres en état d’usage douteux sont amarrées au bout d’une digue.
La proximité avec la mer offre une bouffée d’air pur à cette petite ville dont l’architecture manque vraiment de cachet.
Aucune harmonie entre les différentes constructions.
L’aménagement fort rectiligne et strict, doublé d’une faible animation, confère une atmosphère étonnamment nostalgique.
Heureusement, l’ambiance est plus joyeuse au « Corail », où notre ami Sam nous régale de sa délicate cuisine, délicieux mets arrosés de bière et de rhum arrangé.
Malgré la bonne humeur, augmentée des effets euphorisants de l’alcool, cette sensation étrange que quelque chose prend fin ici, émerge peu à peu.
Une sorte de vague à l’âme ralentit nos élans.
Derrière l’humeur joyeuse, se dissimule un sentiment de nostalgie. Après la séparation avec nos porteurs, demain, l’équipe se réduit encore.
Quand les liens viennent à peine de se souder, déjà approche l’heure des séparations.
Nous repoussons au maximum cet instant, en espérant que la nuit apporte une touche d’éternité à cette belle histoire.
Heureuse et sans lendemain.

JOUR XI : 19/10

Drôle de sensation de se réveiller dans une vraie chambre avec salle de bains attenante aménagée pour satisfaire tous les besoins occidentaux.
Nous n’attendons pas le chant de coq pour nous lever, l’heure étant pour une fois et depuis fort longtemps lisible depuis son propre lit.
Un brouhaha de voix enfantines laisse deviner que nous nous trouvons à proximité d’une école.
Notre taxi-brousse de la veille s’apprête déjà à repartir en direction de Ratsianarana, à travers la brousse.
Il fait chauffer le moteur dans un toussotement toujours aussi sec.
L’équipage attend impatiemment le chef du gang Libertalia et son amie en shopping de dernière minute en ville ; la suite du projet « Cerfs-volants » les attend à Antanjokatafana.
Nous comptons sur eux pour nous rapporter quelques photos en témoignage de l’avancée du projet dans le village, ainsi que le compte-rendu de la « disco » qui s’organise dans la brousse les 23 et 26 octobre prochains.
Pour notre part, le rythme est plutôt « mora mora » ce matin.
Après un copieux petit-déjeuner, nous nous aventurons à petits pas dans la ville. Notre guide recherche désespérément un atelier de transformation de vanille à visiter. Nous le surprenons même au petit matin, le Routard sous le bras, à la quête de l’impossible.
Certes, les malgaches ne comprennent pas ce qui peut mener un groupe de 5 vazahas à pénétrer un tel établissement. Finalement, l’un d’entre eux nous accorde une petite « visite ». Les employées – essentiellement féminines – nous accueillent d’ailleurs le sourire aux lèvres.
Le parfum de cette plante sacrée de l’est malgache embaume tous nos sens.
Dans les rues, nous sommes surpris de rencontrer une population aux origines davantage métissées que la population du Cap-Masoala (peuple Betsimsaraka).
Les origines asiatiques et indiennes se retrouvent à travers les regards et les différentes physionomies.
Et tous se côtoient dans une heureuse harmonie.
Nous terminons notre « itinérance citadine » par une balade de curiosité sur un chantier de boutres.
Personne n’est à l’ouvrage aujourd’hui mais nous constatons cependant que la rénovation de ces charpentes de marine suscite un gros travail préalable d’entretien avant la mise à l’eau.
Certaines embarcations sont même quasiment divisées en deux parties égales, laissant découvrant le squelette entier de ces carcasses quasi abandonnées.
Personnes sensibles au mal de mer, s’abstenir !!
Le long de l’océan, quelques opulentes demeures à l’architecture coloniale trônent sur la baie d’Antalaha, face à l’horizon.
Celles-ci témoignent de la manne économique de l’exploitation et de l’exportation de la vanille.
Avant de rejoindre une nouvelle fois l’aéroport toujours « mora mora », nous improvisons une petite halte dans la propriété de Sam nichée au cœur d’une forêt odorante et fleurie et bordée de palmiers, le jardin est un véritable havre de fraîcheur.
Les abords de l’aéroport n’en sont pas moins paisibles.
Nous sommes ses premiers visiteurs et respirons tranquillement l’air de la campagne avant de nous rapprocher de la porte d’embarquement, un vaste hall agrémenté de quelques sièges de toutes les couleurs et d’un bar avec vue exceptionnelle sur la piste.
Tour à tour, les taxis déposent leurs passagers, plus ou moins chargés de bagages de toutes sortes.
Une panneau mentionne que les véhicules ne peuvent stationner plus de 5 minutes.
Etonnés que le « Kiss and fly » soit arrivé jusque ici, nous rejoignons la piste après avoir entendu l’avion atterrir, dans un vrombissement étourdissant.
L’aéroport de Tamatave, toujours fermé aux vols internationaux pour éviter que l’ancien président Didier Ratsiraka ne rejoigne son fief malgache, ressemble à un véritable champ de bataille.
En guise de parking, les gravats tapissent l’accès au hall unique.
Les employés s’activent intensément mais le résultat n’est pas vraiment révolutionnaire et l’évolution pas visible à l’œil nu depuis notre première descente à Tamatave au début de notre périple.
Après un dernier séjour dans la paisible bourgade d’Antalaha, Tamatave nous plonge illico dans l’atmosphère rutilante des grosses agglomérations, un carrefour stratégique pour les échanges par voie de mer et le commerce en général de la Grande Ile.
Les pousse-pousse colorés slaloment au milieu des 4L
Les étalages de bric et de broc bordent et débordent des trottoirs.
Le bruit général nous assomme comme un coup de massue ; preuve que le retour à la civilisation est toujours délicat après un séjour aux airs de « bout du monde ».
Heureusement, grâce aux changements de programme qui nous poursuivent de jour en jour depuis notre arrivée, nous ne ferons de Tamatave qu’une simple étape d’approvisionnement en carburant et produits consommables.
Encore une surprise cependant : à peine sorti de l’agglomération, notre chauffeur se fait retirer subitement son permis pour excès de vitesse.
Avec un peu de patience et un goût prononcé pour la négociation (sachant que notre chauffeur n’était ni le premier ni le dernier à subir cette arrestation à cet endroit précis), un bakchich suffit pour reprendre la route en direction de Tana.
La Nationale 2 nous conduit dans une succession de jolis paysages, alternant forêts et collines complètement déboisées.
La route prend peu à peu de l’altitude, les lacets nous bercent.
Parfois, les enfants profitent du moindre petit arrêt pour nous proposer plateaux de fruits et en cas salés.
A plusieurs reprises, nous longeons la voie de chemin de fer sans jamais entrevoir aucune gare.
La musique rétro (tubes des années 70) se perd dans le ronronnement du moteur, au fur et à mesure que la nuit tombe.
Notre chauffeur s’arrête à plusieurs reprises pour s’assurer que nous n’avons pas dépassé notre destination finale.
Soudain, les phares éclairent un petit groupe d’hommes en bord de route, qui s’agitent avec animosité auprès de notre équipe locale.
L’obscurité est à présent complète.
Les porteurs sont trop nombreux pour tous nous accompagner jusque au site caché de Vohimana.
Notre guide calme rapidement l’agitation de ces villageois des hauts plateaux et sélectionne une partie d’entre eux seulement.
Le véhicule nous approche au plus près de la forêt, tandis que les porteurs courent devant nous sur la piste, profitant de la lumière des phares pour avancer dans la nuit noire.
A notre tour, nous les suivons, équipés de nos frontales dans un étroit sentier rejoignant la voie ferrée.
Nous avançons à tâtons, avec cette impression qu’un passeur nous aide à franchir clandestinement un pays voisin.
Les porteurs se régalent de cette promenade nocturne, qu’ils animent en chantant. L’expédition arrive progressivement au point d’orgue de notre voyage. Au milieu de nulle part, en pleine forêt primaire.
Seule la faune en éveil nous offre un signe de vie. Et en contrebas, nous devinons le murmure d’un petit ruisseau.
Bienvenue au Relais du Naturaliste, un havre de sérénité au cœur d’une nature luxuriante et généreuse.

JOUR XII : 20/10

Dans cet environnement exceptionnel, le matin est un trésor inestimable qui se délecte sans excès.
Seule la nature pour éveiller un à un chacun de nos sens.
Chant des oiseaux, murmure de la cascade et kaléidoscope de verts intenses à l’horizon : tout n’est que douceur et volupté…
On pourrait imaginer que nous nous trouvons au cœur d’un prototype grandeur nature d’un magasin « Nature & Découvertes ».
Tant l’équipement que l’aménagement, toute la structure du Relais du Naturaliste s’intègre parfaitement dans le décor naturel.
Ici, c’est le bois qui est roi.
Un grand dortoir, des bungalows individuels ainsi qu’un grand hall ouvert sur la forêt, aménagé pour les repas – avec un coin cheminée près du salon – et l’accueil de groupes : tout est pensé comme dans un refuge pour des séjours de courtes ou longues durées.
A vocation humanitaire ou pour observer et découvrir la faune et la flore d’une forêt primaire. Ou recevoir un jeune public dans un but éducatif.
Autour de cette structure, des circuits tracés et parfaitement aménagés conduisent aux différents points stratégiques du site.
La distillerie d’huiles essentielles, la pépinière, le potager où sont cultivés des légumes bio délicatement cuisinés par la suite, ou encore le village de « chercheurs » qui reçoit des stagiaires et des scientifiques.
Vohimana, outre un repère propice pour réaliser un stage de survie, c’est aussi et surtout une forêt primaire qui abrite de nombreux lémuriens ainsi que des espèces endémiques.
Véritable paradis pour les chercheurs qui se délectent autant des richesses naturelles que de la sérénité de ce cadre.
Situé seulement à 3 heures de route de Tamatave, sur la Nationale 2 en direction de Tana, le site encore préservé recèle autant de merveilles que le parc naturel d’Andasibé-Mantadia (ex. réserve du Périnet). Ou dans tous les autres parcs nationaux de la Grande Ile qui attirent des touristes au milieu des lémuriens presque domestiqués.
L’autre particularité de cette forêt, c’est son enjeu écologique, dont une partie du devenir a été pris en mains par l’ONG « La Nature et les hommes » depuis 2002.
En effet, pour faire face à la déforestation (85% de la couverture forestière initiale) et développer l’économie locale, l’ONG sensibilise les villageois de Vohimana à la nécessité de protéger l’environnement, face à un héritage biologique entier en danger.
Parfois, ces derniers sont surpris en plein jour par l’ONG même, à transporter du bois de palissandre, ce bois précieux dont le prix a une valeur marchande conséquente dans l’exportation.
Malheureusement, les problématiques relatives à l’agriculture et à l’écologie sont autrement plus complexes, dès lors que l’on considère les facteurs humains et sanitaires (malnutrition, alphabétisation, etc…).
Dans quelles mesures interdire la culture du brûlis qui, certes appauvrit les sols, si celle-ci permet aux habitants de nourrir des troupeaux, de se chauffer, de cuire ses aliments et de cultiver des terres agricoles ?
Comment mettre en place des solutions écologiques (à une plus large échelle) en vue d’un développement régional, tout en tenant compte des besoins d’urgence qui menace des villages entiers ?
Certes, la forêt est en péril. Mais 15 millions d’habitants le sont également.
L’éco-tourisme se présente comme l’une des solutions possibles.
Mais, lorsque l’on prend en compte l’ensemble des éléments qui s’articulent autour de ce nœud politique et social, le projet frôle l’utopie.
Malgré l’engagement permanent de volontaires et un rassemblement d’énergies positives et dynamiques.
A un premier niveau, un grand nombre de choses très simples paraissent évidentes à réaliser pour optimiser l’exploitation du Relais du Naturaliste et par conséquent développer sa clientèle.
Des actions qui n’interviennent pas dans le programme à mener à plus long terme auprès de la population de la région.
En vrac, des exemples : actualisation du site internet et mise en ligne de photos plus vendeuses, réapprovisionnement de dépliants sur la faune et la flore pour mise à disposition du public de passage, meilleure mise en avant des cartes postales, services et savoir-faire de l’équipe du Relais du Naturaliste, vente de la production locale (huiles essentielles, légumes), etc…
Il est réellement décevant de constater que les moyens mis en place ne correspondent pas du tout au potentiel actuel, si bien que la dynamique du site devient autant affectée tant que tout reste « stagnant » en apparence.
Qui imaginerait se procurer des huiles essentielles sur le site commercial le plus touristique de Tana, tandis que le savoir-faire et les matières premières disponibles à Vohimana permettent son exploitation et par conséquent sa vente ?
Bien que cette latence qui plane au Relais du Naturaliste nous désole grandement, c’est avec un plaisir enfantin que nous partons à la découverte des 1000 et un secrets de la forêt : cascades et piscine naturelle, caméléons et lémuriens, serpents et geckos, oiseaux et insectes.
Tantôt à travers une végétation dense et exubérante ou tantôt par des cols dégagés, offrant un panorama exceptionnel sur Vohimana.
Outre la faune inédite, la forêt recèle bien des trésors botaniques, comme les plantes médicinales et le bois précieux, dont les senteurs fabuleuses réveillent comme par magie tous les sens.
L’effort est soutenu, mais la récompense autrement plus belle.
Après un après-midi « quartier-libre » pour assouvir nos simples désirs de contemplation, à l’heure de la sieste ou avec un bouquin, nous nous aventurons dans la nuit à la recherche des lémuriens nocturnes.
La « course » en est d’autant plus hardie que la forêt est vaste et les animaux en totale liberté.
Avis aux amateurs de caméléons que nous rencontrons ; une famille nombreuse d’espèces étonnantes et rares, comme on en trouve nulle part ailleurs (en-dehors de la Grande-Ile, bien sûr !!…).
La parenthèse « nature » se ferme ce soir, en présence de 2 volontaires de « Planète urgence » qui témoignent de leur investissement et de leurs espoirs quant au devenir de Vohimana.
Douce nuit au milieu de nulle part, en osmose avec une nature généreuse et sereine.

JOUR XIII : 21/10

A une heure fort matinale, le bruit du train qui serpente à travers la forêt tropicale – la micheline reliant Tamatave à Tana en 11 heures et circulant simplement sur demande – nous surprend en plein sommeil.
Les premiers rayons du soleil fort généreux nous incitent à quitter nos lits douillets.
Quel moment de détente agréable que de dévorer un bon bouquin face à cette forêt si verte, si dense…
Ou tout simplement écouter, prendre la respiration, la pulsation de cette nature généreuse, si enivrante et apaisante.
Le matin, malgré la moiteur d’une journée ensoleillée, nous partons sur la trace de l’Indri, connu comme le plus gros et le plus farouche des lémuriens.
Face à l’étendue si vaste de la forêt et de la distance que nous parcourons, nos chances de rencontres paraissent bien maigres.
Sur le chemin, nous observons des araignées-crabes, des serpents, des oiseaux et des papillons, avec l’impatience accrue de vivre une expérience supplémentaire.
Soudain, le cri rauque et puissant d’un animal, tandis que nous n’y pensions plus.
Avec cette impression de se sentir encerclés dans un périmètre très serré.
Ils sont très certainement plusieurs mais bien cachés dans les branches les plus hautes.
Petit à petit, en essayant de gagner du terrain, tout en limitant les craquements des feuilles et des racines que nous foulons, nous pouvons crier « victoire ».
Comme un chasseur traque sa proie, nous avons découvert le repaire de l’Indri. Comme nous, il a très certainement lui aussi localisé notre position.
Et, restant aux aguets, nous tentons de ne pas le quitter du regard.
Lorsque « la bête », une espèce menacée de 7 kg environ, s’élance de branche en branche, avec une agilité discrète mais puissante, nous pouvons constater sa grande taille, comparable à celle d’un chimpanzé.
Son pelage brun rappelle celui des grosses peluches que l’on souhaiterait garder près de soi.
Bien que son museau dégage – au premier coup d’œil – une certaine sympathie, les courtoisies se limitent à ce simple échange, enrichissant notre souvenir d’une très belle rencontre, fort inhabituelle !
Après l’émotion, massages, lecture ou écriture ?
Le programme de l’après-midi a légèrement changé.
Non pas que l’idée de partir à la pêche aux écrevisses nous rebutait.
Nous nous imaginions déjà les pieds dans l’eau, excités comme de jeunes enfants et appliqués comme des débutants, pister les compétences olympiques de l’écrevisse de Vohimana.
Malheureusement, les G.O. de l’ONG (dur dur, la prononciation !), ont constaté que le matériel exploitable n’était pas disponible en nombre suffisant.
Pourtant, l’épuisette fait bien partie de la panoplie du bon chasseur/pêcheur, activités dans lesquelles excelle la population locale.
Nous ne contrarions pas nos guides et les suivons dans une courte excursion jusque au village le plus proche, via le tunnel des chauves-souris.
La marche le long de la voie ferrée évoque des réminiscences « kusturiciennes » et dévoile des scènes totalement décalées.
Dans un décor exubérant, cette piste sinueuse offre des clichés étonnants.
Une ambiance « No-man’s Land » émane de ce site surprenant.
Et croiser des villageois sur cette voie, avec pour seul point de fuite, des rails à moitié recouvertes de végétation, relève de la fiction.
Un décor parfait, des personnages qui collent à leurs rôles, des scénarios multiples, sans oublier les sons de la nature qui ne font qu’augmenter la richesse de la mise en scène.
Au village, nous sommes confrontés à une toute autre réalité.
Un environnement très rural complètement dénué de mysticisme.
Les jeunes filles pilent le maïs et le manioc, le riz sèche sur de grandes nattes et les enfants jouent au milieu des animaux de la ferme.
Une pépinière, minutieusement entretenue, présente des boutures d’espèces végétales, propres à l’écosystème de Vohimana.
Notre guide nous introduit à sa famille et en particulier à son oncle, un personnage bien peu singulier.
Malgré son âge avancé, il amuse toute la galerie dans sa maison transformée en musée.
A l’intérieur d’une grande pièce plutôt sommaire et sombre, une collection d’objets étonnants, conçus et réalisés pour le quotidien des villageois : pêche, chasse et musique…
La visite se clôture par un concert improvisé de percussions, dans un chant de fête populaire traditionnel.
Un moment encore très chaleureux, exceptionnel, qui rassemble petits et grands dans la joie et la complicité.
A l’heure de l’apéritif, nous avons la chance inouïe de recevoir la visite de 3 lémuriens nocturnes, juste devant les cuisines.
L’un des moins farouches, ou le plus gourmand d’entre-eux, se laisse tenter par les fruits qui tombent en grappes sur la branche la plus basse de l’arbre, à seulement 1,50 mètres de nos têtes.
Un spectacle exclusif et inattendu, surtout pour des lémuriens non apprivoisés.
Quelques accords de guitare rythment bien sûr notre dernière nuit malgache.
Au coin du feu, la veillée évoque les souvenirs coquasses, riches en émotions et en surprises de ces deux dernières semaines au pays de « Mora-Mora ».
Le temps perdu ne se rattrape jamais, se plaît à dire notre aîné.
Et toutes ces vibrations intenses pour embellir notre mémoire comme une très belle histoire.
Entre poésie et fiction. Au plus profond de chacun, comme un trésor que l’on n’oserait divulguer, tellement il nous est cher. Est-ce bien cela la réalité ?

JOUR IV : 22/10

En même temps que traversent les premiers rayons du soleil, le sommeil s’éclipse peu à peu, bien que nos corps soient encore engourdis sous les épaisses couvertures.
Et, même si cet éveil s’effectue toujours en douceur après une nuit saine et réparatrice, une nuit qui ressemble aux 10 précédentes, un sentiment étrange, nouveau, se dissimule derrière ces impressions de « déjà vu », de « déjà vécu ».
Mora Mora, nous avons devant nous encore bien du temps pour boucler nos bagages. Et également pour se remplir le ventre des douceurs du petit-déjeuner.
L’eau de la rivière qui coule en contrebas, à travers la végétation dense et généreuse frissonne joyeusement, accompagnée par le rassurant murmure incessant de la nature en éveil.
Bien-être et vitalité résonnent en écho avec cette harmonie végétale et animale.
Accords parfaits pour une symphonie 100% zen.
Encore une fois et comme tous les autres matins, ce site diffuse un parfum d’insouciance qui réussit à nous envoûter.
Mués devant cette beauté, nous contemplons. Le charme a opéré.
Nous nous sentons même trop privilégiés. Avec cette sensation de légèreté, d’insouciance. Qui nous rend plus forts.
Chargés d’émotions et d’images. Puissantes. Presque indestructibles.
Pourtant, la pauvreté des villages alentours nous émeut profondément.
Tous les enfants qui accompagnent notre attente sur le bord de la Nationale 2 souffrent de malnutrition.
La dépigmentation du cuir chevelu témoigne de ce mal propre aux pays où malheureusement, la santé n’est pas prioritaire et les conditions d’hygiène insuffisantes. Et où la famine sévit.
Pourtant, ces jeunes enfants ne demandent qu’à jouer comme tous les autres enfants du même âge. Simplement, sereinement.
Mais dans leurs visages, transparaît la misère. La détresse.
Nous voici soudain démunis, perdus.
Difficile de tourner le regard sans penser un instant à leur avenir. A leur enfance et leur devenir.
Dans ce moment d’attente et de rencontre, ils nous présentent leur mascotte.
Un caméléon géant aux couleurs fluorescentes.
Le plus gros que l’on n’ait jamais croisé jusque ici.
Dans l’attente, nous oublions presque le pourquoi de notre présence au bord de cette route.
Signe que nous avons adopté le rythme « Mora Mora ».
Pourtant, si nous voici insouciants et confiants, notre guide lui, tend à perdre patience.
Notre chauffeur, prévu et prévenu depuis quelques jours déjà ne daigne pas apparaître.
Or, c’est bien lui pourtant qui est chargé de nous accompagner jusqu’à Tana pour embarquer ce soir vers d’autres horizons.
Impossible d’obtenir de réseau. Pas moyen de rentrer en contact avec lui.
Mais jusque combien de temps pouvons-nous encore attendre ?
En combien d’heures de route rejoint-on la capitale ?
Décision prise, le délai déjà écoulé, il est temps de partir.
Notre guide charge les villageois d’attendre auprès de nous, tandis qu’il s’apprête à faire quelques kilomètres pour retrouver du réseau et localiser notre chauffeur.
A ce moment précis, un grand et confortable Land-Rover s’arrête tandis qu’on lui fait signe.
Heureusement, avec une équipe de 6 personnes seulement, le stop, c’est toujours plus aisé. Chacun trouve sa place à bord.
Véhicule presque neuf et chauffeur privé : idéal et inespéré !!
Une chance ? Un hasard ? Ou tout simplement notre destinée ??
Bon réflexe en tous les cas que de ne pas avoir attendu davantage.
« You got a message » indique le portable de notre « chef d’équipe », dès que nous nous éloignons de quelques kilomètres seulement.
Mais il est déjà trop tard. L’appel est passé et le ton de la conversation peu enjoué. Le chauffeur initialement prévu doit fournir des explications.
A priori, il s’agit d’une mauvaise compréhension dû à un problème purement technique : l’absence de connection !!
Ok, on accepte, mais pour cette fois-ci seulement… (sic !!)
Après tout, ce Land-Rover nous convient parfaitement et nous avons encore quelques heures devant nous avant de nous inquiéter.
Alors, apprécions encore ces derniers instants à leur juste valeur, non ?
Il suffit de se laisser bercer, les yeux grands ouverts, devant les paysages qui défilent derrière la vitre.
A vive allure mais toujours aussi grands et sublimes.
Autant d’espaces que nous ne pouvons découvrir cette fois-ci.
C’est un peu comme la bande annonce d’un film qui nous tiendrait en haleine.
Ou le rembobinage accéléré d’une vieille VHS…
Impossible de descendre, d’arrêter le temps, ni d’en voir davantage.
Ces images nous glissent entre les doigts sans que l’on puisse un instant les saisir.
Ces montagnes vertes recouvertes de rizières. Ces cultures en parcelles taillées comme des patchworks naturels, aux verts plus ou moins lumineux.
La campagne Betsiléo…avec ses maisons de briques rouges.
Couleur dominante de la Grande Ile.
Notre rôle d’acteur s’arrête ici. Nous ne sommes plus que de simples spectateurs. Immobiles. Presque muets.
C’est déjà un peu comme traverser un autre temps pour laisser loin derrière nous le présent. Dans le passé.
Proche mais déjà dans la mémoire.
Pourtant, la vie continue autour de nous. Avec notre seul regard, mais sans notre présence.
Notre temps s’est écoulé. Nous ne pouvons le prolonger. Ni faire marche arrière, ni même arrêter la vitesse de ce défilé incessant.
De scènes de vie rurales, de jeux de lumières…
Tout se fige peu à peu. Se trouble presque. Se confond.
Disparaît. Dans un flou de plus en plus imperceptible.
A mi-chemin entre l’imaginaire et la réalité. Avec des images fictives devant les yeux.
A tel point que l’on ne sait plus. Que l’on ne se souvient plus.
Où se trouve t’on à cet instant présent : ici, là-bas ou déjà ailleurs ?

Seul le ciel semble décider de notre sort.
Sous un orage féroce et menaçant, nous recevons sa bénédiction.
La pluie efface nos pas. Purifie nos derniers gestes. Et atténue cette nostalgie pesante dont nous ne pouvons nous défaire. Nous libérer, instantanément.
Encore un pas et nous nous envolons.
Loin, très loin de ce cocktail aux doux arômes sucrés de vanille et d’ananas, de litchis et de clous de girofle.
Loin de toutes ces senteurs exotiques qui ont parfumé notre chemin.
Aux couleurs créoles et aux vibrations africaines, avec un léger souffle d’Asie.
Entre brousse et océan, métissée et généreuse, inclassable, méconnue mais tellement attachante. Comme un secret jalousement gardé…
MADAGASCAR.

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