La Basse-Casamance, le berceau du tourisme responsable…
Tandis que je me lamentais davantage chaque jour de ne pas avoir sillonné quelque coin de brousse tiédie par la chaleur, quelque forêt primaire animée par le cri de l’Indri-Indri ou encore quelques côtes escarpées parfumées de 1001 senteurs et cela, depuis près de 3 ans, j’ai soudain essayé de réfléchir à ce qui avait déclenché en moi cette passion pour l’itinérance…
Retour aux sources sur le continent africain avec un premier et vrai voyage en immersion d’où je n’ai rapporté, en lieu et place d’un carnet de voyage, que quelques notes à propos d’un projet qui résonnait naturellement avec les fondamentaux du tourisme solidaire.
Or, près de 17 ans plus tard, je découvrais, dans un article publié en 2010 dans la revue Téoros, que cette région avait servi de laboratoire, dans le début des années 70, pour développer le concept de « Tourisme rural intégré ». Avec l’objectif de créer « de nouvelles formules de tourisme prenant plus en considération l’être humain et l’environnement… » « … face aux dégâts déjà causés par le développement du « tourisme de masse ».
Premier modèle de tourisme alternatif et solidaire en Afrique, ces campements communautaires appelés « campements villageois » situés dans le sud du Sénégal servent de base à des séjours axés sur la découverte culturelle de la Basse-Casamance.
Construits dans le respect de l’architecture traditionnelle (cases à impluvium), ces campements sont gérés sur un mode communautaire pour financer des équipements collectifs et promouvoir les activités locales (essentiellement dans le domaine de l’environnement).
Après un conflit de plus de 20 ans qui a opposé le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) au gouvernement pour une question d’inégalité entre les Sénégalais du nord et le sud du pays pillé pour ses ressources naturelles. En 1995, des touristes français sont portés disparus dans la région de Ziguinchor. La Basse-Casamance souffre encore d’une mauvaise presse.
C’est pourquoi, en janvier 1998, dans un contexte géopolitique encore instable, le Ministère des Affaires Etrangères français nous informe par courrier, une semaine avant le départ, qui de récents affrontements ont eu lieu dans le département d’Oussouye, tout près des campements prévus dans le programme.
Il faudra en effet attendre 2004 pour qu’un accord de paix soit signé entre le président sénégalais Abdoulaye Wade et le MFDC. A partir de cette date, les campements sont réhabilités dans le but de stopper l’exode rural. Leur mode de fonctionnement intègre les fondements du tourisme solidaire et responsable, dont la sauvegarde du patrimoine naturel et culturel et l’impact socio-économique pour les autochtones.
Le griot de Casamance, retour sur les lieux en janvier 1998…
Tenant compte du potentiel et de l’histoire de ce territoire précurseur, autant d’éléments dont je n’avais pas connaissance avant mon départ, ce premier voyage ne pouvait qu’être extrêmement fort et porteur de sens. Une première expérience en immersion, unique et fortement marquante.
A commencer par l’atterrissage sur la minuscule piste d’aéroport de Cap Skirring, cachée par les massifs de fleurs multicolores… Une piste sur laquelle on récupère directement ses bagages et ce, sans intermédiaire !
Puis vient le souvenir de ces kilomètres de sable bordés par l’océan sur lesquels les vaches viennent paisiblement étaler leur maigre silhouette au soleil, afin de profiter de l’air des embruns pour se rafraîchir.
Une parenthèse balnéaire où tout n’est que quiétude et sérénité, aussi propice pour admirer les superbes couchers du soleil depuis le restaurant du campement M’Balo que pour se prélasser sur la plage en rencontrant les jeunes marchands ambulants, plus amusés par la rencontre et l’échange qu’intéressés par le profit…
La proximité avec la mer ne rivalise en rien avec la chaleur de l’accueil familial de cette adresse aussi simple que conviviale.
De l’autre côté de la mer, c’est un tout autre décor qui se dévoile, à travers des pulsations beaucoup plus africaines, empreintes d’authenticité et de spontanéité.
En Basse-Casamance, la mer rentre dans les terres comme de longs bras chargés d’eau salée que l’on appelle des bolongs. Formant de véritables méandres, ils s’enfoncent dans l’embouchure avec hostilité. Ils constituent des axes de communication essentiels pour l’ensemble des villages isolés dans les marais, loin de l’estuaire.
Balayées par les marées, ces mangroves investies par les palétuviers découvrent par endroit de façon aléatoire suivant les heures de la journée, de longues langues de sable.
Au fil de l’eau, la pirogue sillonne à travers ces véritables forêts, à la rencontre de la faune et de la flore. Insolite et sportive, la pêche aux huîtres dans ce dédale de racines, une activité qui requiert précision et habileté, tant pour sauter hors de l’embarcation que pour manier le couteau à longue lame en équilibre sur les branches…
La panne de moteur dans ce labyrinthe marécageux présage une hausse de température à bord, alors que le soleil de plomb se reflète dans les profondeurs couleur Coca-Cola. Seul le clapotis de l’eau sur la barque marque le tempo des minutes qui paraissent interminables. Cela jusque ce que le bout de cordelette réveille le doux ronronnement du moteur que l’on n’espérait même plus.
Bienvenue en terre animiste, rencontre avec le peuple Diola…
Région pilote, la Basse-Casamance représente également le territoire d’un patrimoine ethnoculturel riche en histoire et en traditions, celui de la population Diola, un peuple respectueux de la nature aux nombreuses traditions et en grande majorité animiste.
S’immiscer de village en village permet de s’imprégner d’une culture vivace, rythmée par les traditions rurales et des savoirs ancestraux.
Bois sacrés, fétiches, tabous, culte de l’ancêtre : ces traditions séculaires reflètent les modes de vie typiques des villages et parfois même propre à chacun d’eux.
Si les croyances animistes nous paraissent indéchiffrables et totalement dénuées de sens, l’accueil chaleureux que nous réservent les habitants nous confronte à une proximité dont nous avons peu l’habitude dans notre quotidien d’urbains occidentaux.
Le rencontre est juste, humaine et spontanée. Très tactiles, les africains ont besoin de ce contact. Ils vous saisissent les avant-bras avec fermeté et conviction, d’un geste décidé. Ici, c’est l’être humain qui communique, au-delà des différences culturelles. Peu importe la couleur de la peau, notre présence les touche et ils nous le font comprendre ; ils sont heureux et cette joie est retranscrite avec une chaleur intense. Nous nous sentons rapidement des leurs, adoptés contre quelques sourires seulement.
La confiance se pare soudain d’un sentiment d’inquiétude alors que je me penche sous une bâche de toile sombre pour répondre à l’invitation du guérisseur du village qui souhaite nous offrir un à un sa bénédiction. Des objets en tous genres s’empilent de tous côtés. Dans cet espace dépourvu de place et où la lumière est absente, l’intimité perd ses aises. Point d’échappatoire face à ce regard bleu acier et vitreux qui va puiser au fond de mes pensées. Agitant un chapelet de perles marron, il marmonne dans sa barbe une prière et agite un gri-gri au-dessus de ma tête. Il passe autour de mon cou un pendentif en bois, suspendu à une cordelette. Déstabilisée par cette séance de magie noire, les mots me manquent ; je me contente de hocher la tête en signe de remerciement, laissant penser que je crois en ses pouvoirs pour le restant de mes jours.
Heureusement, à l’extérieur de la tente, l’ambiance est plus légère. Aujourd’hui, les villageois fêtent la récolte du vin de palme. Les festivités ne font que commencer, mais un sentiment général de gaieté gagne toute la communauté. L’animosité générale délie les langues, malgré la barrière linguistique. Les hommes préparent ce breuvage fermenté au goût âpre, dont la sève est issue du raphia. Si on soupçonne certains d’avoir déjà bien inhalé les effluves de la fameuse boisson alcoolisée, on imagine combien les rires vont continuer à résonner une grande partie de la nuit…
Alors que nos pas nous reconduisent au campement via la brousse embrasée par un flamboyant soleil couchant, nous entendons déjà l’écho du « tam tam téléphone », un tronc d’arbre évidé battu avec des bâtons pour transmettre des messages… la version locale du gong asiatique. A ce moment précis, alors que la lumière oscille entre chien et loup, nous admirons les ombres des épineux qui se profilent à l’horizon. Pleinement conscients de cette beauté, nous réalisons combien nous sommes loin de notre quotidien. Si surprenant soit-il, ce sentiment de bien-être absolu et d’insouciance. Comment la magie des lieux peut-elle opérer si facilement ?
Ces émotions s’associent naturellement à toutes les images émouvantes qui tissent la toile de ce voyage plein d’humanité. Ce soir, on entendra encore le chant de bienvenue des enfants qui nous ont reçus la veille dans leur école. Une salle de classe construite directement sur la terre battue, une pièce unique sans fenêtres et au toit percé, où trône un grand tableau noir blanchie par la craie.
A moins que l’on ne préfère se souvenir des rythmes entraînants du djembé et des danses improvisées sous le fromager d’un village. Accompagnés par les éclats de rire de toutes les générations réunies.
Et le goût de ce riz qui diffère d’un village à l’autre en fonction de la récolte… un privilège que de se nourrir d’une production 100% locale servie dans l’assiette sans aucun intermédiaire.
Ou encore la saveur du thé dégusté chaque soir lors du rituel des 3 thés. Un moment détendu et chaque soir attendu pour clore la journée en toute convivialité. Lorsque l’un gratte trois accords de musique et que l’on se remémore les moments les plus délicieux de la journée, autour d’un feu qui crépite. Ainsi, de jour en jour, le troisième thé nous paraît un peu moins âpre. Notre palais mémorise le goût, tandis que nous nous habituons davantage à l’obscurité.
De la même façon, nous nous habituons au confort précaire des équipements… à l’araignée velue qui nous guette de ses grands yeux noirs sur le bord du lavabo. Et aux douches brevetées en Afrique qui se résument à un tuyau consolidé à un gros réservoir. Avec la chance de goûter l’eau, uniquement si celle-ci s’écoule correctement en fonction de l’inclinaison du tuyau. Et si, le niveau de la réserve a été préalablement vérifié par l’ingénieur local, un bon sioux, de préférence…
Bien entendu, ces détails passent en seconde préoccupation en une poignée de jours seulement. Le confort devient vite accessoire. Découvrir la vie locale en laissant une empreinte moindre lors de nos visites constitue un challenge sans prix. Répondre à l’invitation de nos hôtes avec une attitude la moins intrusive possible basée sur le respect et l’échange… c’est alors que l’on parvient à préserver une part d’authenticité dans les moments improvisés que constitue la rencontre. En sonnant plus juste, plus vrai.
Une promesse engagée que je souhaite profondément perpétuer de voyage en voyage.
Une façon de prolonger et d’épargner le plus longtemps possible les traditions séculaires, en s’efforcer de maintenir une culture plus vivante que jamais… que les peuples préserveraient comme un fruit défendu…
Mythe ou réalité ? A chacun de cultiver sa part de rêve et de faire vivre son voyage à sa manière pour conserver le plus longtemps possible ses propres images, dans les yeux comme dans le cœur…
Décryptez-le comme vous le souhaitez, à bon entendeur… bon voyage !
Scans de photos en argentique @SRigault_janvier_1998
Pige Tourisme :
http://www.casamance-tourisme.sn/campements-villageois-de-casamance