Birmanie, terre d’or et de rubis…

Récit de voyage intégral, octobre 2005.

Shewadagon en fête (octobre 2005)

Les préparatifs de dernière minute respiraient encore la quotidienneté. Mais le départ que je ne soupçonnais même plus prend soudain une autre forme, comme si une simple lueur, le flou d’un contour à peine perceptible, devenait enfin palpable.

Ainsi, l’imaginaire que je nourrissais jusque ici par la lecture et les d’images laisse place au champ de l’action. Là, précisément ancré à un instant précis, quelque part dans la réalité.

L’avion décolle, je laisse la Grande Bleue derrière moi. La côte s’éloigne petit à petit. Sous l’aile de China Airlines, j’embarque pour un autre continent dans un boeing prenant la direction de Taïpei. Dans l’avion, on reconnait, hélas, le touriste lambda qui s’apprête à exhiber toute sa graisse sur les plages du sud de la Thaïlande. Tatouages et t-shirts des moins discrets ne permettent pas de détourner l’œil.

L’exercice le plus périlleux de tout le séjour n’est-il pas ce vol de nuit inversé, comme si l’on jouait le temps d’une journée à décaler nos pendules sur l’heure de Bangkok ? Simple test de patience ou… quoi d’autre ?

De la fonction de lectrice ou observatrice, je deviens actrice. Voici donc le moment venu d’ouvrir tout grand les yeux. Soudain, cette force invisible qui semblait me retenir dans le quotidien et ses trivialités m’apporte une liberté insouciante, presque enfantine.

Première étape, l’une des plateformes la plus dynamique de toute l’Europe : l’aéroport d’Amsterdam.

Etant déjà partie en reconnaissance lors d’une escale tibétaine l’été précédent, je retrouve très vite toutes ces pièces qui constituent le puzzle d’un lieu connu : devant moi, le Sandwich Island où nous avions partagé un dernier verre. Les stands de gouda et de tulipes à perte de vue, les espaces high-tech, l’atelier massages et, pour ne pas me faire perdre le pied totalement dans la réalité, le casino et ses machines à sous dans une ambiance piano-bar avec les non moins fameux sandwichs « triangle ». De quoi faire sourire mes collègues « complusiens » lors d’un jour de lassitude générale dans le « bunker »…

Retour en février 1999. Avec une forte odeur d’huile de massage pour vous étourdir. En file discontinue, des boutiques aux lumières aveuglantes. Et, avec les souvenirs, un visage familier parmi les impatients en transit à destination de Rangoon.

Symptôme qui ne trompe pas : le nez renifleur. C’est bien Christian l’un de mes compagnons du Vietnam. Christian aux côtés d’une jeune et belle Thaïlandaise. A priori, ils semblent plus proches qu’une relation de client à prostituée. Comme beaucoup d’hommes, dont certains avec enfants retournent pour les vacances dans le pays de leur rencontre. Même après un long vol qui les aurait privées d’un sommeil ordinaire, les Thaïlandaises savent entretenir cette coquetterie extrême qui participe au charme de leur féminité dans toute sa splendeur.

Premier contact avec le monde étudiant birman. Dernier transfert avant l’arrivée définitive à destination. Le modeste aéroport de Rangoon est perdu au milieu d’une végétation dense et luxuriante. La moiteur permanente me saisit avec une douce violence.

Au loin, les toits dorés apparaissent à travers les forêts de palmiers et de bananiers.

Privilège à ne pas refuser : un guide et un chauffeur à disposition de la princesse. L’escorte privée me conduit jusqu’au hall d’un hôtel totalement climatisé, standardisé et sans aucun cachet, mais sans doute classé supérieur dans sa catégorie. Pourtant, l’ascenseur a des airs plutôt misérables. Ne surtout jamais rien comparer avec l’occident, même si les apparences tendant à faire croire le contraire. L’animation dans la rue, son trafic et les boutiques me rappellent bien que je suis véritablement en Asie.

Ici, le port du longyi, le costume traditionnel masculin et là, les Datson et autres véhicules plein à craquer de tous les côtés : rien ne se perd, tout se retrouve, voici l’Asie dans toute sa splendeur, telle que je l’aime. Pour son authenticité et sa manière de vivre.

Premier tour de marché, premier régal. Stands de fruits et légumes aux dominantes de verts, des aliments séchés de toutes les formes et les couleurs, des œufs de 100 jours et, pour l’amusement des passants, une « crêperie » de nems improvisée sur le trottoir. Au total, plus de 10 plaques sur lesquelles le cuisinier averti tourne sa pâte en l’air avec une dextérité sans égal.

Extrêmement populaire, le quartier chinois possède encore tous les signes du colonialisme britannique. Ici, balcons en fer forgé et fenêtres avec persiennes en bois se marient aux couleurs locales et à cette animation de rue en perpétuel mouvement.

A l’écart du quartier des ambassades et des immeubles administratifs à n’en plus finir, le centre-ville de Yangoon est formé de grandes allées arborées rappelant la douceur de vivre d’Hanoï.

Les jeunes birmanes se distinguent sur leurs deux roues par leur posture extrêmement droite et rigide. Mais aussi par les sourires universels qui s’animent sur leurs visages recouverts de Thanaka.

Contrairement aux moines toujours aussi peu pudiques, les nonnes défilent avec élégance et poésie sous une collection d’ombrelles toutes plus colorées les unes que les autres. Leur costume traditionnel se compose d’une robe de tissu couleur safran sous une autre plus clair, recouverte d’un tissu placé en écharpe sur l’épaule.

Avant de découvrir plus longuement la capitale, arrive l’heure de la sieste… une sieste pas seulement réparatrice, mais véritablement indispensable pour empêcher l’assoupissement en pleine rue. Le temps également que la chaleur diminue, malgré la moiteur ambiante subtropicale.

Suite de la visite culturelle avec les incontournables : le bouddha couché et la pagode Schwedagon. Un délicieux spectacle qui augmente en intensité plus la nuit tombe. Non seulement étourdie par la beauté inestimable du patrimoine, je perds totalement le contrôle de l’animation trépidante qui fait feu de tous les côtés.

Vendeurs de feuilles d’or, confection de guirlandes de jasmin, installation des offrandes dans chaque recoin de la pagode, méditations et prosternations pour les uns, purifications, détente gourmande ou somnolente pour d’autres… Partout, enfants et adultes, moines ou laïcs se pressent dans une ambiance bon enfant à terminer les préparatifs de cette soirée de fête.

Le rendez-vous de toutes les générations confondues où chacun a revêtu sa tenue de fête pour célébrer la Fête des lumières. Un réel privilège que de découvrir la célèbre Schwedagon dans ses habits de fête et animée d’une telle effervescence.

A la veille de la pleine lune, cette cérémonie nationale rassemble le peuple birman entier venu célébrer la fin du carême bouddhiste marqué par la fin de la mousson. Afin de rendre hommage à Bouddha parti prêcher sa mère morte en le mettant au monde, les Birmans allument plus de 8000 bougies tout autour de la pagode principale.

La procession commence en musique et tout en lumière. Comme la fête en porte le nom, les bouddhas s’illuminent à l’intérieur des autels comme des guirlandes qui clignotantes, comme de véritables sapins de Noël qui tentent de concurrencer le reflet de la pleine lune.

Même la TV allemande ne manque pas sa retransmission en direct… c’est un succès sans prix !

Pour clore la soirée, une visite du parc en nocturne me rappelle l’ébullition des fêtes populaires françaises, avec la magie de Schwedagon illuminée, scintillant comme la Tour Eiffel un soir de feu d’artifices.

Dans un décor de bougies flottantes et de lampions, la soirée se poursuit sur les tubes de Jennifer Lopez revisités à la sauce chinoise. A mi-chemin entre Chinagora et une mise en scène par Disney, loin des émissions de TV réalité, c’est aussi ça, l’Asie dans toute sa splendeur.

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Au réveil, les aiguilles indiquent 4h30. La sonnerie du téléphone me fait bondir à l’autre bout de la pièce. A cet instant précis, arrive toujours la question de savoir où l’on se trouve. Entre le rêve, le transit d’un aéroport à l’autre et cette chambre à la sensation de moiteur extrême à laquelle je ne suis pas encore habituée.

Heureusement, le système nerveux déjà bien en route prend les devants sur les questions de conscience et de « Où suis-je ? Où vais-je ? ».

A 5 heures du matin, la ville semble plus éveillée que mon esprit brumeux. Triporteurs, bus publics déjà au complet se déplacent tranquillement sans se gêner parmi les taxis.

La pagode Schwedagon a déjà accueilli les premiers fervents. Après un court sommeil au compteur, émerge cette impression de ne pas m’être couchée, de ne pas avoir quitté la scène des festivités.

Pourtant, c’est dans le hall des vols domestiques de l’aéroport de Yangoon que j’atterris ce matin à une heure fort matinale.

Un décor assez « roots » pour une mise dans le bain immédiate, histoire de ranger ainsi ses habitudes d’occidentale au fond du sac. La « navette » qui dessert successivement Bagan puis Mandalay avant Heho survole de splendides paysages bâtis de rizières et de champs de culture au kaléidoscope de verts  étincelants, presque fluorescents. Chacun y retrouve les teintes préférées d’un nuancier pantone vif et lumineux.

Après avoir manqué de descendre au premier atterrissage, j’ai presque oublié que l’avion m’avait bien menée à destination. Il est à peine 9 heures. Un guide personnel m’attend pour me conduire jusque au reste du groupe.

Sur la route ombragée, nous croisons quelques vélos et triporteurs chargés de marchandises en tous genres. Une courte halte me permet de découvrir l’un des plus anciens monastères en bois qui a soufflé plus de sa centième bougie.

Monastère birman (octobre 2005)

Dans la pagode voisine, la prière diffusée par haut-parleur n’est pas sans rappeler les prières musulmanes qui font écho les unes aux autres.

Des personnes âgées issues de groupes ethniques Shan se retrouvent dans cette ambiance 100% zen, tant pour se détendre que pour passer un moment en toute convivialité.

Les murs de la pagode sont entièrement peints, ornés de sculptures bouddhistes et agrémentés de céramiques. Creusés à l’intérieur d’une longue fresque bouddhiste, de minuscules autels présentent une collection inimaginable de bouddhas dans des postures toutes différentes.

Les novices sortent une tête curieuse, mais sans la sagesse soutenue dans le regard des anciens.

Après cette pause culturelle, nous rejoignons directement le reste du groupe qui compte 4 autres participants. Les présentations sont rapides car la pirogue nous attend déjà pour une nouvelle aventure, plus lacustre que terrienne cette fois… à nous, l’exploration du Lac Inlé !

Pêcheur Intha sur le lac Inlé

Sur un canal aussi large qu’un lac, nous croisons les pêcheurs Intha, comme si ceux-ci avaient presque répété leurs gestes en prévision de notre venue.

Nous naviguons ensuite dans les bras plus serrés, au milieu des cultures de tomates et de haricots.

Nous en apprenons davantage sur la technique des îles flottantes conçues fort intelligemment sur de fines bandes d’argile et d’algues (superposition de couches) pour permettre aux embarcations de circuler entre elles.

A partir du restaurant flottant parsemé de jacinthes aquatiques (consolidées dans l’eau par du charbon de bois), nous assistons à une véritable parade flottante. Devant nous, défilent toutes les pirogues parties à la procession du matin.

Suit ensuite une visite en hommage à un monastère médiatisé par la presse occidentale : le monastère des chats sauteurs : Kyaung Nga Phe. Les moines ont construit leur réputation à partir de leur technique de dressage de félins, capables de bondir à l’intérieur d’un cerceau levé à quelques centimètres du sol. Certains d’entre eux sont peu persuasifs, même si l’exercice ne présente pas de difficultés particulières.

Une promenade digestive nous mène ensuite jusqu’à l’extrémité sud du lac, à travers les méandres des canaux de village en village (sachant qu’il en existe environ près de 180 sur la Lac Inlé).

Celle-ci se poursuit plus longuement pour les « native » seulement, les touristes n’étant pas autorisés à franchir la frontière avec l’Etat Karen. Une région où vivent encore les « femmes girafes ». La situation politique faisant foi, les affrontements instables entre le gouvernement armé et les minorités ne permettent pas de s’aventurer dans cette zone peu sécurisée.

C’est pourquoi, nous nous contentons du périmètre autorisé pour la fin de la journée, soit un « parc » de bungalows en bambou forts coquets, dont le confort surprend nos âmes d’aventuriers peu habitués à cette rencontre culturelle.

A la mode balinaise, l’équipe entière du Golden Island Cottage nous reçoit comme des rois et en « fanfare ». Un rituel  qui se perpétue à l’arrivée de chaque groupe de touristes. Peu importe ce sentiment soudain de compter comme un touriste de plus parmi tant d’autres, finalement…

L’orage menaçant les eaux du lac, nous trouvons le temps et le silence nécessaires pour une séance de lessive, d’écriture ou de lecture, selon les goûts de chacun.

Pour faire honneur à nos origines, nous installons convivialité et bonne humeur autour d’un apéritif improvisé, suite à un accident diplomatique helvétique sur la terrasse de nos voisines.

A défaut de moustiques, ce sont les moucherons et autres éphémères qui nous précipitent vers la salle de repas pour dîner, où un spectacle typique et plein de charme nous présente les danses et arts de l’ethnie Shan. A notre heureuse surprise, l’amateurisme du personnel, au sens modeste du terme, parvient à capter notre attention sans ridicule ni exagération.

Jongleur de feu, danseur et marionnettiste, c’est avec un sourire immense que notre équipe d’accueil interprète les traditions de la culture Shan. Une première approche concluante, malgré les apparences de paradis artificiel destiné au tourisme de masse…

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5h30. Réveil naturel synchronisé avec le lever du jour. A six heures du matin, pas d’obligation. De bus ni d’avion à prendre, pourtant. Mais, pour le coup, nous sommes très efficaces au moment d’embarquer sur notre pirogue.

La lumière d’une grande intensité confère une ambiance lacustre insolite. Nous prenons la direction sud du lac pour approcher au plus près la procession du jour, à l’occasion de la fête du Phaung Daw U. Cette manifestation religieuse organisée durant la pleine lune de Thadingyut (septembre/octobre), promène 4 des 5 statues couvertes de feuilles d’or – dont 3 représentant Bouddha et les 2 autres ses disciples – de village en village pour bénir les monastères.

Le convoi lacustre étant sur le départ, la police flottante nous demande de nous écarter de l’itinéraire royal.

Comme tous les villageois et fils du lac venus assister à la procession, nous nous glissons entre les pirogues, attendant patiemment les trois coups de théâtre.

Lac Inlé, Birmanie (octobre 2005)

Certains d’entre eux se cachent déjà sous leurs ombrelles pour se protéger des rayons du soleil. La plupart a préparé des plateaux chargés d’offrandes pour la cérémonie.

Dès que les militaires donnent le départ, une dizaine de barques reliées entre elles par une corde, avancent à la force des rameurs.

Sur le rythme entraînant des percussions, les pirogues glissent sur l’eau avec légèreté. A bord, des groupes entiers d’hommes en sarongs représentent chacun leur village.

Fête du lac Inlé, Birmanie (octobre 2005)

Au-delà des chants et des danses parfaitement synchronisés, le défilé de ces barques aux couleurs aussi festives que lumineuses représente à lui seul un spectacle. Certaines pagaies ont été assorties aux ombrelles. Et des barques décorées de palmiers.

Les feux de bengale fusent de toutes parts. Petits et grands, jeunes ados et adultes participent aux festivités dans une atmosphère bon enfant et tellement chaleureuse.

Une barque plus richement décorée précède la pirogue royale recouverte entièrement d’or. C’est celle-ci qui transporte les statues difformes jusqu’au village suivant. Pour assister à leur arrivée, notre « gondolier birman » se dépêche de raccourcir notre itinéraire en coupant à travers les roseaux. Course poursuite drôle et excitante pour parvenir à se placer dans un endroit stratégique, sans perdre une miette du spectacle.

Nous sommes chaleureusement accueillis lors de la cérémonie religieuse qui se déroule dans le temple du village où nous pouvons assister librement aux prosternations et aux prières, prononcées sur un ton presque catholique.

Pourtant, l’ambiance qui règne dans ce grand et haut édifice tout en bois ne rappelle nullement la messe du dimanche des catholiques les plus pratiquants.

Bien que les bébés se comportent en véritables bouddhas, certains laïcs se permettent de fumer, de discuter ou même de prendre la sortie à tout moment.

Pour les plus jeunes, les gestes qui composent le rituel doivent paraître impressionnants, même si celui-ci appartient à leur quotidien. Et si notre présence les distrait en dehors de cette religiosité.

Une fois que les hommes ont recouvert les quatre bouddhas de feuilles d’or et chaque villageois déposé ses offrandes, la foule dérive joyeusement vers la foire située tout autour de la pagode.

Stands de beignets, sucreries, objets sacrés, jeux pour les enfants : tout prolifère de toutes parts pour fêter et partager la joie de cette fin de carême, après trois mois d’abstinence.

Un grand nombre de Lao participe aux festivités. Ils en profitent pour remplir leur hotte de provisions avant de reprendre le chemin des montagnes.

Les visages peints de Thanaka nous offrent leur plus beau sourire. Tout paraît exceptionnel, tellement fort et sincère que nous sommes vite emportés dans un tout autre univers, même sans croyance religieuse aucune.

Durant l’après-midi, nous quittons le grand canal pour nous évader vers l’ouest du lac, au pied des montagnes. Le transfert dans les eaux couleur chocolat bordées d’une végétation dense fait penser à une descente d’un bras de l’Amazonie.

A l’extrémité d’une « galerie » longue de plus d’un kilomètre, nous découvrons les vestiges d’un temple inspiré de la culture Khmer. Comme à Angkor, la végétation a envahi les pierres. Des centaines de petits stupas en aiguilles ou en ruines sont répartis tout autour de la pagode.

Nous poursuivons l’investigation à travers une petite piste qui conduit tout en haut d’une colline. Le ciel dégagé nous offre une vue magnifique sur la vallée du lac, grande étendue marécageuse résolument protégée par deux chaînes de montagnes.

Par opposition à la vie lacustre, c’est un paysage de dunes vertes qui nous séduit par sa douceur.

Un peu éteints par la chaleur et proches de l’hypoglycémie, nous sommes heureux de nous rassembler dans la fraîcheur du réfectoire d’un monastère pour goûter les nouilles instantanées.

Avec nos allures de pèlerins endormis, nous n’osons pas nous présenter à nos hôtes et à toutes les femmes venues se reposer dans ce lieu particulièrement calme et serein. Rien de mieux après un bain de foule que de contempler la sagesse et la religiosité d’un pareil rendez-vous.

Dans un décor bleu et rose tapissé d’écritures jusqu’au plafond, de nouvelles amies aux costumes sombres et aux foulards « écossais » : les femmes de l’ethnie Shan.

Cette pause appréciable nous remet d’aplomb pour le retour jusqu’à l’entrée du lac. Spectacle non moins exceptionnel que d’assister au coucher du soleil doux et généreux, carte postale romantique aussi parfaite qu’une aquarelle.

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Une règle d’or, surtout ne pas changer les bonnes habitudes : lever 5h30 pour un départ 1h plus tard, toujours dans la même embarcation (Mont Travels & Tour).

Etant donné le monde prévu et le manque d’accessibilité au départ de la procession, c’est à la fin de celle-ci que nous assistons.

Comme des chasseurs d’images à l’affût de leur proie, nous attendons autour d’un virage, dissimulés derrière les roseaux. Emplacement stratégique pour capter l’ensemble de la manifestation. L’étroitesse du canal nous permet, avec du recul, d’observer moins curieusement que la veille, mais avec plus de maturité, le long cortège composé d’une vingtaine de pirogues.

De nouvelles têtes, nouvelles venues dont ne savons rien de la signification… de charmantes et féminines danseuses et rameuses aux costumes bleus qui semblent presque sorties d’un spectacle de marionnettes, tellement leur grâce et leurs postures nous paraissent parfaites.

Pour vérifier une dernière fois que les marchés de tous les 5 jours (des marchés réputés pour leur extraordinaire animation où descendent pèlerins et montagnards) ne présentent pas d’intérêt durant les fêtes (95% de la population participant aux cérémonies), nous ne manquons pas de faire un tour au plus grand marché de tout le lac.

Hélas, les faits sont là. Sous les nombreux étalages de bois semi couverts, quelques exceptions seulement pour confirmer la règle. Aussi, nous retournons finalement au monastère Nga Phe Chaung, espérant que la foule se soit déjà dissipée. Les quelques statuts de bouddhas nous attendent en effet pour constater de leur éclat et de leur difformité, à force de les recouvrir de feuilles d’or.

Convoi des bouddhas en feuilles d'or... (octobre 2005)

La foire conserve un succès pour tous, tant pour notre curiosité que pour les autochtones tous attablés en famille dans les gargotes et cela à toute heure. Les enfants courent et jouent de tous les côtés. Certains moines et mêmes des militaires nous observent de leur tour de guet, avec un sourire en coin.

C’est la bérézina absolue ! Après ce bain culturel fort bon enfant, nous n’échapperons pas à la visite du parcours imposé pour le touriste en tour organisé… Atelier de tissage de soie et de fleurs de lotus, forge, confection de cuivre et cigares et chantier de pirogues… et ensuite ?

Heureusement, l’activité lacustre ne manque pas d’intérêt pour détacher de l’œil de ces « pseudo » fabriques d’artisanat dont les boutiques sont plus grandes et mieux fournies que l’espace même de travail.

Pour le déjeuner, nous nous installons dans un nouveau village, postés à l’étage d’un restaurant avec vue à 180° sur les courses de rameurs.

En compétition, tous les villages du lac Inlé. Dans les tribunes, les encouragements des supporters fusent. A chacun sa couleur !

Pour certains, le premier départ est catastrophique… l’embarcation pique du nez, alors qu’elle s’apprête à franchir la ligne d’arrivée, disparaissant ainsi sous les eaux marrons du lac. Les militaires et les secours aident rapidement les pauvres rameurs à rejoindre la rive, où ils doivent ensuite écoper à grandes mains pour vider leurs embarcations.

Cette course, outre les mésaventures de la malheureuse équipe perdante, nous maintient en haleine. L’équipe de tête ne gagne pas systématiquement. Il n’est pas rare que la seconde embarcation rattrape la première puis double même la précédente…

A cette attraction populaire suit une séquence avec les officiels : la remise de prix constitue le passage obligé pour clore une manifestation nationale.

Point de course pour nous, nous quittons ensuite ce lieu très animé pour un autre plus paisible à travers les canaux.

Comme les habitants du village voisin, nous descendons à terre sur une minuscule île. Etant coincés entre les rizières, les déplacements nous permettent peu de liberté. Cependant, nous essayons de nous fondre dans le décor rural et lacustre qui nous entoure.

Qui se dévouera pour une toilette à la mode birmane ? Brossage de dents ou savonnage à travers les longyi ? A défaut de nettoyage, nous sommes plutôt salis par les herbes de la terre et nous contentons encore du statut de spectateurs. Jamais encore nous n’aurons été aussi près de la procession…

L’accès au temple où les 4 bouddhas ont été déposés s’annonce périlleuse. Le canal fort étroit provoque quelques embouteillages, si bien que nous devons ruser pour aborder et rejoindre la fête.

Une personnalité semble être invitée parmi les lamas. L’un d’entre eux se charge de filmer l’événement. Qui aurait un jour pensé qu’il existait une chaîne spécialisée pour les religieux ?

Après un rapide tour de la foire où nous cherchons en vain une maison de thé, nous regagnons la pagode « terminus » des 20 jours de processions, l’étape ultime où les bouddhas seront déposés jusqu’à l’année suivante. Une magnifique fresque à l’illustration naïve et schématisée raconte l’histoire des fêtes du lac. Celle-ci représente une ogresse aux traits enfantins offrant du bois pour la construction d’un monastère.

Course de pirogues, Lac Inlé, Birmanie (octobre 2005)

Le mythe illustré est exposé à côté d’anciennes photos noir et blanc du lac. Parmi elles, la barque royale qui coula en 1965, abandonnant au fond des eaux l’une des statues.

Trêve d’histoire et de donation, nous poursuivons notre promenade par une visite de la grande foire. Si celle-ci n’est pas qualifiée de marché de tous les 5 jours, l’animation n’en est pas moins trépidante.

Une myriade de gargotes accueille les pèlerins, laïcs et familles sur des tables basses et des chaises hautes comme du mobilier d’école maternelle.

Nous apprenons à reconnaître l’huile de coco utilisée pour se laquer les cheveux, les étalages de béthel et de thanaka, les pneus transformés en seaux et les bidons d’essence en larges malles… l’art du recyclage ou l’ingéniosité du birman confirme la célèbre maxime qui dit : « rien ne se perd, tout se transforme » !

A côté de ces étalages de fruits et de fritures pour tous les goûts, le sport trouve également ses amateurs comme ses spectateurs, sous l’œil attentif et l’encouragement de tous les moines ; une jeune équipe de volley se rencontre dans une convivialité d’une grande spontanéité.

Les festivités se poursuivent tard dans la soirée… Une grande scène attend des musiciens traditionnels pour animer en live une partie de la nuit. Comme dans tous les festivals « roots » français, certains ont déjà prévu de rester dormir sur place.

Pour notre part, nous n’assistons pas à cette kermesse populaire. Foi de touristes, nous assumons… notre place se trouve dans les pilotis de bambou du Golden Island Cottages. Pour une dernière et ultime nuit…

A peine le repas commencé, nous sommes interrompus par une visite surprise, à la frontière du rêve et de la réalité…

Dans le calme d’une nuit parfaitement noire, la barque royale glisse sur l’eau sombre, nous offrant un majestueux spectacle.

Totalement illuminée, l’arrivée de celle-ci à l’embarcadère est remerciée par une donation de sculptures de fruits avec les veux du patron. S’en suit une nouvelle représentation de nos hôtes…

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Voici bientôt l’heure du grand départ. On quitte les méandres de canaux pour rejoindre le canal le plus large, à l’extrémité nord du lac… A l’embarcadère, on déjeune une nouvelle fois chez Hupin… L’adresse typique qui prouve que les Chinois détiennent la majorité des restaurants et des hôtels de la région, voire du pays, à plus grande échelle…

Viennent ensuite l’heure des formalités administratives (poste et banque dans lesquels certains se procurent le célèbre rhum birman pour l’apéritif du soir. L’averse étant terminée, c’est sous le soleil que nous quittons cet endroit unique, où nous avons assisté à des spectacles d’une richesse extraordinaire.

Le camion traverse une petite route ombragée qui mène jusqu’à Heho où triporteurs, bus publics et camions se disputent la priorité. En cours de route, nous assistons à une procession de moines.

C’est à présent un paysage totalement différent qui défile ; un décor constitué d’arbres fruitiers et de parcelles multicolores. Nous avons quitté la vie lacustre des Shan pour pénétrer une région de montagnes verdoyantes.

De cette étendue de verdure qui distille des airs de campagne d’altitude, émane une toute autre ambiance.

Nous arrivons de bonne heure à Kalaw. Malheureusement, l’animation extérieure ne nous laisse pas fermer l’œil et la tentative de connexion internet échoue une nouvelle fois.

Le dîner est partagé dans un petit snack népalais où les saveurs et les visages ne sont pas sans faire ressurgir de la mémoire, des images de déjà vu et de déjà vécu.

Cette fois-ci, nous nous sentons presque seuls : à l’exception de deux routards Canadiens et d’un jeune Suisse en pèlerinage à Kalaw pour la 5ième année accompagné d’amis Birmans et Népalais…

Une nouvelle ambiance et dépaysement garanti comme à chaque escale qui nous offre de nouveaux parfums.

Pour ma part, une invitée surprise aura décidé de me rejoindre dans un coin de la baignoire… un nouveau compagnon de voyage indésirable ? Araignée du soir… bonsoir !

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A tous ceux qui croyaient encore à la grasse matinée, je dédie cette journée. Sous ses airs de bourgade rurale, Kalaw nous révèle des secrets nocturnes inattendus.

Heureusement, la journée qui commence s’annonce paisible et ensoleillée, même si celle-ci est rythmée par la marche.

A travers un paysage de plénitude absolue, des montagnes douces et des pentes cultivées d’altitude, nous nous dégourdissons un peu les jambes.

Le sentier plus ou moins large qui sinue à travers ces massifs de verdure contraste avec les cours d’eau aux teintes ocre. Rizières éclatantes, plantations de thé, culture de riz, de menthe et d’orangers : la diversité de la flore complète notre admiration pour le coquet paysage.

Une montée progressive à l’ombre des banyans nous conduit aux deux prochains villages. Comme au Népal, les enfants débraillés, les cheveux en bataille, reniflent et crachent toutes leurs bronches. Mais, c’est avec des cris de joie et de grands sourires qu’ils nous accueillent chez eux.

Devant les maisons, le thé sèche sur de larges plateaux de bambou. Les habitants récoltent également des feuilles de Thanaphet destinées à la confection des cigares.

Nous pénétrons l’une de ces long house ou maisons communautaires plongées dans l’obscurité. Hormis de petites séparations, une grande et unique pièce à vivre sur pilotis rassemble chacune des familles qui conservent son indépendance pour la cuisine. Pour éviter les courants d’air, ces maisons ont été conçues avec un minimum d’ouvertures.

Aussi, malgré le peu de lumière, nous parvenons à découvrir les visages des femmes à peine éclairés par le feu de bois, les petites têtes des bouddhas encore nouveaux nés ou encore l’autel en hommage aux ancêtres. En sous-sol, un profond grenier permet de stocker les provisions et de préparer les petits plats.

Nous ne goûtons pas à la cuisine familiale pour autant cette fois-ci. Nous rejoignons un petit et charmant restaurant d’altitude situé à cheval entre les deux vallées. Rien à voir avec le chalet Suisse, juste une modeste maison taillée en bambou pour accueillir les estomacs impatients.

La descente vers Kalaw nous ramène à d’autres réalités, comme celle de reprendre la route tortueuse et usée jusqu’à l’étape suivante, laissant ainsi notre guide Sherpa retrouver sa famille.

Jusqu’à Pindaya, nous nous régalons de ce paysage et de l’activité champêtre. Charrettes de zébus, calèches, camions et tracteurs trafiqués, vélos ou transport à dos de buffle : tous les modes de transport inimaginables s’adaptent aux besoins du jour de chacun.

C’est le retour du grand marché de tous les 5 jours qui vient de se terminer dans le village voisin. Ethnies ou paysans parfois endimanchés regagnent leurs maisons à travers champs. Ils transportent parfois dans les hôtes de grosses branches de bois.

Mais le premier commerce local reste de loin celui du chou. A proximité des champs, les paysans attendent les camions pour déverser leur production dans le ventre de ces poids lourds jamais rassasiés. Aucun de nous ne parvient d’ailleurs à chiffrer le nombre de camions et encore moins de choux produits dans le cadre de ce commerce.

Peu à peu, le jour descend pour s’éteindre sur ces cultures panoramiques, bien que nous ne soyons pas encore lassés de cette trépidante abondance de clichés champêtres.

Le cadre de nos haltes ne perdra rien du charme de cette atmosphère. Le Golden Cave Hôtel est un bâtiment d’un seul étage dont la terrasse indépendante à chaque chambre et les plafonds laqués ne sont pas sans rappeler l’époque coloniale. A l’intérieur, le mobilier semble chiné avec goût et expérience.

Le dîner se déroule dans un restaurant populaire tenu par de jeunes Birmans. Dans un geste de bon cœur, ils choisissent comme bande sonore les chansons françaises les plus ringardes des années 80.

Heureusement, la qualité et le service nous gâtent d’une soirée fort conviviale, dans un cadre chaleureux mais intimiste. Welcome in Pindaya !

Qui osera troubler notre sommeil demain : le chant du coq ou le muezzlin ?

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De bonne heure, nous visitons la grotte de Pindaya, ce célèbre sanctuaire troglodyte qui abrite plus de 8000 bouddhas en marbre, en teck, en brique, en laque ou en ciment. Surplombant la ville et le lac, ce site est un lieu de méditation et de pèlerinage réputé.

Malgré son emblème assez « carton pâte » (une grosse araignée géante), cette grotte semble habitée d’un esprit particulier, irréel. Déposées au fil des siècles, ces statues témoignent chacune de l’époque auxquelles elles datent.

Parmi des bouddhas, se sont égarés d’autres figures de la religion bouddhiste : les moines, de la protection et de la prospérité des ethnies ou encore bien d’autres.

Plus on s’enfonce dans la grotte, plus on découvre des statues moins anciennes et également de plus petite taille.

Les donations qui consistent soit à apporter une nouvelle statue de bouddha – pratique fréquente à l’époque faste pour les mariages – soit à coller de nouvelles feuilles d’or sur les personnages déjà entretenus.

A défaut de place, la collection s’étend sur toute la partie abrupte de la paroi de la grotte. La richesse et l’alignement de ces sculptures de bronze et de bois recouvertes d’or témoigne du dévouement de la population locale, notamment dès que l’on regarde de plus près les dates de dépôt.

A quelques centaines de mètres des grottes, nous nous arrêtons pour poursuivre notre éducation propre à l’activité artisanale : la fabrication des ombrelles et/ou du papier Shan.

Cette démonstration ne laisse aucun de nous indifférent. Next stop : découverte du marché de 5 jours… si on ose encore croire à cette légende si réputée en pays Shan ? Bien que peu animé, la visite de ce marché présente enfin ici de bien des intérêts.

De nombreux montagnards sont descendus au village pour remplir leur hotte de marchandises et de produits alimentaires. Des marchandes coiffées de leurs foulards traditionnels s’abritent sous des ombrelles, un cigare Cheroots à la main.

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Pays Shan, Birmanie (octobre 2005)

De vieilles balances en bronze pèsent les achats. Poisson séché, fruits et légumes, samoussas au goût salé et sucré : à cette heure, le choix offert permet encore de faire le plein !

Nous-mêmes, nous repartons avec quelques gourmandises sucrées pour tenir bon durant la suite du trajet. D’autant plus que le transfert qui nous attend pour rejoindre Mandalay s’avère bien plus éprouvant.

Sous le choc des secousses, il est parfois difficile de ne pas sombrer dans le sommeil. Pourtant, les paysages qui défilent sous forme d’images saccadées – offrent un véritable spectacle panoramique, un documentaire audiovisuel avec le son en plus de l’image.

Depuis les rizières et cultures en parcelles sur les douces collines aux formes voluptueuses qui rappellent notre Toscane romantique et lumineuse, jusqu’aux plantations fruitières ou aux pics karstiques luxuriants en passant par les forêts de teck d’altitude (domaine protégé), ce kaléidoscope d’images de pleine nature nous ravit de ses richesses et de sa diversité.

La campagne paisible anime nos esprits d’un sentiment de liberté et de légèreté, comme celui de se savoir en voyage.

Notre étape gourmande du midi nous imprègne d’une ambiance plus scolaire. Dans une sorte de cantine populaire décorée de posters à la « sauce chinoise » (paysages d’Autriche, de Bavière et plages de sable fin bordées de cocotiers), nous déjeunons avec un groupe de jeunes étudiantes de Yangoon. Comme beaucoup de Birmanes, elles partent en pèlerinage et voyagent à travers le pays à l’occasion de la fin du carême bouddhiste.

A la vue de leur métissage, on devine que certaines d’entre-elles doivent très certainement provenir de la frontière du Bangladesh.

Dans un fond sonore de karaoké qui mixe à la fois rap, chansons d’amour ou variétés birmanes, l’animation de la salle confère une ambiance assez bon enfant, après un trajet quelque peu épuisant.

La descente dans la moiteur de la plaine, une végétation dense qui alterne bananiers et rizières, nous annonce une arrivée proche. En effet, peu à peu, les villages qui bordent la route sont de plus en plus grands et le trafic s’intensifie.

Mais, plutôt qu’un soulagement, c’est une première déception générale que d’arriver dans cette grosse agglomération bruyante et polluée. Un retour aux joies urbaines quelque peu brutal…

En guise d’arrivée dans cette seconde capitale, les informations nous apprennent qu’un attentat vient de se produire quelque part dans la veille. Heureusement, l’événement n’a pas pu franchir les frontières… C’est donc une angoisse en moins pour notre entourage.

Suite à une panne d’électricité, les groupes électrogènes ont été mis en marche dans les hôtels pour  nous assurer un confort minimum.

Toutes les rues dépourvues de lampadaires nous plongent dans la quasi obscurité. Attention aux trottoirs non réguliers et à la chaussée déformée. Ce soir, c’est « barbecue party » avec les locaux : brochettes de viandes, poissons et légumes pour tous.

Nous terminons cette longue journée par une soirée culturelle : un spectacle de marionnettes traditionnelles.

Dans une étroite salle aux rideaux rouges, emprunts de l’esprit des spectacles de Guignol, une troupe fort réputée (ayant participé au festival de Charleville Mézières en l’an 2000, les articles de Libération faisant foi), nous présente ses talents exceptionnels dans une mise en scène pleine d’humour d’un tout autre temps.

Avec une extrême habileté de leurs petits doigts, les bras des marionnettes ondulent, font frissonner les corps et incliner les bustes. Nous sortons surtout notre chapeau au maître de la troupe, un homme âgé au regard malicieux et profond.

Puis, le rideau tombe sur la ville de Mandalay qui s’endort dans la moiteur ambiante. Demain est un autre jour.

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Voici le moment de mieux s’imprégner de la grande ville de Mandalay. Une nuit réparatrice nous réconcilie avec la moiteur et la poussière qui participe au caractère singulier de cette ancienne ville royale.

L’activité et le trafic intenses offrent toujours des clichés étonnants pour les occidentaux : téléphones de rues sous les arbres sans cabines, câblages psychédéliques, camions de bouddhas et vendeurs ambulants… et, partout, des petits commerces de tout et de rien aux anciennes publicitaires du plus grand kitch.

Plutôt qu’une errance au hasard des rues, c’est un enchaînement de petites visites qui ponctue notre journée. Notre circuit « découverte » débute avec la visite d’un atelier de battage de feuilles d’or.

Dans le bruit et la poussière, hommes et femmes s’efforcent d’aplatir de minuscules morceaux d’or durant des heures. Bien que horrible à dire, il est malheureusement difficile de distinguer l’évolution de chaque étape à l’œil nu. Le découpage et l’assemblage représentent également un exercice qui demande précision et habileté dans la manipulation. Rien de plus naturel si l’on considère la qualité et le savoir-faire ingénieux des Birmans pour l’artisanat et les activités manuelles.

Nous retrouvons ensuite une toute autre ambiance, non moins bruyante mais extrêmement plus colorée autour de la gigantesque Paya Mahamuni, la pagode du grand sage (modèle réduit de Schwedagon de Yangoon) qui vénère le Bouddha éponyme.

Depuis 1901, celui-ci ne cesse de se transformer, devenant le plus difforme possible, suite à l’application des multiples couches de feuille d’or par les dévots sur sa base en bronze.

Femmes et enfants se prosternent devant cette masse d’or de 130 kilos (seul poids de l’excédent depuis sa conception), pendant que les hommes continuent à le sculpter.

Toutes les entrées de la pagode qui conduisent à Mahamuni vous accueillent dans un bric à brac d’objets religieux en tous genres (chapelets, bouddhas, poupées, cloches, etc…).

Hélas, la mendicité des enfants ajoutée à la quête des jeunes moines et nonnes faisant l’aumône gâche quelque peu la magie de ce haut lieu de culte. Un peu à l’écart, 6 statues khmères en bronze, rapportées de Rakhaing à la même époque.

Plus loin, un petit bâtiment subtilisé à plusieurs reprises rassemble de nombreux pèlerins.

Selon la croyance populaire, il suffit de frotter la partie du corps correspondante de la statue si l’on souhaite se débarrasser d’une douleur, ou même se protéger des maladies.

Petite incursion chez les brodeuses – non sans rappeler le film éponyme – qui réalisent tapisseries et costumes pour les marionnettes. Je défie quiconque de rivaliser avec ces jeunes filles douées d’une dextérité de haut niveau pour réussir de telles figures dans la quasi obscurité. De quand date leur dernier rendez-vous chez l’ophtalmologue ?

Nous nous immergeons ensuite dans la quiétude d’un monastère en bois de teck. Au centre d’une cour ombragée où se répartissent les appartements des moines, nous nous imprégnons d’un silence spirituel fort réparateur après l’activité du matin. Nous bénéficions également de ce caractère doux et paisible pour la pause déjeuner.

Au bord du fleuve Ayeyarwady, dans un décor digne du raffinement balinais, voici une nouvelle plénitude que de se prélasser à table en dégustant de gourmandes saveurs (de la chèvre au pois cassé), en regardant les rives opposées ensablées ou le défilé des sampans.

Suit ensuite la visite d’une nouvelle pagode, encore différente des précédentes. Tout autour de celle-ci, 729 stelles gravées en Dali, l’équivalent du latin pour les bâtiments religieux et français, et ordonnées en allées régulières.

Femmes et enfants y profitent pour se poser à l’ombre des banyans, se détendre ou s’amuser.

Derrière ce lieu de culte, une foire désertée témoigne que les lendemains de fête ne sont pas si loin.

Nous pénétrons un théâtre temporaire installé sous un chapiteau pour découvrir quelques dizaines de chaises longues réparties en arc de cercle devant la scène.

Deuxième monastère en bois de la journée, lequel contient une large statue de Bouddha en marbre, construit au pied de la colline de Mandalay, sur laquelle grimpe une longue muraille du Palais royal. Un bâtiment encore bien conservé appartenant au Roi Mindon qui en avait fait sa résidence principale.

Après cette déambulation dans l’histoire ancienne de la Birmanie, c’est dans l’activité trépidante que nous terminons l’après-midi.

Rien de plus drôle que de flâner sur le marché de la petite foire où l’on trouve nattes et papiers en bambou tressé, couteaux et casseroles, ainsi que de nombreux stands de confiseries, signalés par de grandes bâches publicitaires colorées.

Nous croisons encore quelques nonnes allant de boutiques en boutiques pour faire l’aumône, vêtues de leurs robes rosse, de leurs pantalons saumon et de leurs coiffes beiges.

Retour au cœur de la ville où les chariots ambulants font brailler leurs cassettes de musique traditionnelle à contre temps des klaxons.

Je remercie à présent notre guide, puisque c’est la première fois depuis tout le voyage que la connexion Yahoo parvient à transmettre de mes nouvelles jusqu’à l’hexagone. A croire que la formule « internet chez l’habitant » garantit un meilleur résultat que les structures agréées par l’état. Un métier qui a très certainement beaucoup d’avenir…

Un grand merci, donc, à cette discrète famille indienne pour son accueil avant de rejoindre le reste de l’équipe pour un dîner fort chinois.

Comme partout dans le monde et, profitant de l’assouplissement des mesures sur l’importation du commerce extérieur, une population massive s’est introduite depuis la Chine, développant une activité commerciale intense.

Décorée à la mode chinoise avec des posters de chats assortis aux rideaux roses, cette gargote familiale nous sert une cuisine rapide, accompagnée de la Myanmar Beer (toujours concurrencée par la Tiger).

Le marché de nuit a remballé  ses stands, il est l’heure de regagner le fond de son lit…

L’acclimatation ayant parcouru du chemin, nous nous sentirons presque à notre aise dans ce Mandalay matinal. Pourtant, la traversée du centre ville particulièrement animé par le marché quotidien.

L’embarcadère ne manque pas non plus d’activité. Sur de profonds radeaux, le bois de teck est transporté par voie maritime. Le transport du sable représente lui aussi une ressource essentielle pour ces modestes Birmans qui peuplent la zone côtière.

Si le point de vue offert depuis l’embarcadère offre un intérêt panoramique intéressant, les conditions des habitants nous désolent, avec un sentiment d’impuissance partagé. Les fragiles maisons de bambou ont été construites sur des terrains marécageux. Ceux-ci deviennent cultivables uniquement lorsque l’eau recule.

Parmi les plus précaires, des bungalows quasiment ensablés ou des pirogues protégées d’un minuscule abri. Près d’eux, des carcasses de bateaux s’entassent comme une décharge publique. Ce niveau de vie de pauvreté misérable contraste tellement avec la vie paisible qui règne dans les monastères.

Dans le sanctuaire bouddhiste situé aux abords de la rivière Chidwin, l’activité bat son plein. Partout, dans les allées ombragées, dans les appartements sous la douche ou au réfectoire, la vie monastique est en perpétuel mouvement.

Parmi eux, quelques laïcs travaillent au sein de l’enceinte monastique. Comme ces tâches sont interdites aux moines, une dizaine de fillettes s’activent aux fourneaux. D’autres circulent librement dans cet établissement religieux pour se reposer à l’ombre des banyans ou faire la quête.

Nous croisons quelques moinillons vêtus de robes blanches lors de l’appel au déjeuner où ils s’approchent tous du réfectoire les uns derrière les autres, leur bol d’aumône dans les bras, dans un silence absolu.

Et, à la sortie de la cuisine, une rencontre imprévue avec un moine francophone, étudiant à l’Ecole Internationale de Bouddhisme de Rangoon. Sa philosophie alliée à sa rhétorique nous maintient en haleine durant un long moment, interrompant la nonchalance de notre visite.

Avec un vocabulaire et des exemples forts simples, il nous parle de cette force et de cette volonté qui se trouve au fond de chacun de nous pour atteindre ses objectifs. Il insiste sur l’importance de la curiosité, mais surtout sur la construction de soi. Ou comment la volonté et la connaissance suffisent pour atteindre ses buts. A travers son discours sur l’avarie et la pauvreté, nous comprenons que tout s’acquiert par l’expérience et l’apprentissage.

Cette première approche de l’enseignement bouddhiste nous touche profondément, sans doute à cause de la sincérité de l’orateur et par la profondeur de ses sujets.

Sans transition, nous rejoignons l’embarcadère du bac qui nous amène dans un tout autre temps, à l’époque de la suprématie bamar, sur le site de l’ancienne cité royale birmane d’Inwa (Ava pour les occidentaux).

Sur une petite calèche, nous déambulons à travers les vestiges archéologiques de cette période historique au patrimoine encore conservé.

Parfois, les ruines des stupas ont été totalement recouvertes par la végétation. Le monastère de Kyaung Bagaya édifié tout en bois de teck et soutenu par 267 piliers de bois – dont le plus grand mesurant près de 2,70 mètres de diamètre et 18 mètres de hauteur -, respire encore authenticité et spiritualité.

Tandis que les appartements de la reine confèrent une ambiance presque carcérale (son père étant gardien de prison, voici qui n’a pas aidé !), l’ascension d’une tour carrée au milieu de la pampa offre un panorama exceptionnel sur une palmeraie à perte de vue.

La séance « culturelle » du jour est axée autour de la confection des bols pour l’aumône des jeunes moines que l’on appelle les « bidons mutants ». Que de manipulations et d’ingéniosité pour aboutir à un si sobre résultat…

Mais cette économie ne manque pas d’avenir, étant donné le nombre de moines dans le pays.

Ceci-dit, sur l’île d’Inwa, nous croisons de nombreux écoliers en uniformes vert et blanc qui circulent à vélo.

Depuis notre brasserie plein air en bordure du parc où nous dégustons une petite friture avec du maïs grillé, nous assisterons à une discontinu sur le non moins fameux pont U-Bein.

Outre des écoliers et des moines, quelques pêcheurs à bicyclette coiffés de chapeaux de paille pour le soleil et seau pour la pêche. Certains choisissent l’option « pieds dans l’eau »… Nous les reconnaissons au milieu du lac grâce à leurs chapeaux qui pointent au-dessus de l’eau.

La traversée de ce pont confère réellement une ambiance extraordinaire. Sous nos yeux, un condensé de toute la magie de l’Asie du sud-est.

De l’autre côté du pont, la vie insulaire est tout aussi paisible. Derrière un village conçu 100%  en bambou tressé et bordé de palmiers, nous découvrons un temps aux couleurs plutôt d’inspiration aztèque que bouddhiste.

Pourtant, il abrite comme tous les autres un imposant Bouddha de marbre, ainsi que de très anciennes fresques parfaitement conservées.

Le retour par le pont est extrêmement animé. En plein milieu de celui-ci, une équipe de cameraman tourne un film (publicitaire ?).

Comme nous, les moines s’amusent de cette petite anecdote venue rompre la quiétude de ce site exceptionnel.

Pour rejoindre le centre de Mandalay, nous longeons de petites huttes de bambou précaires où les feux s’allument à défaut de la fée électricité.

Peu à peu, nous nous empruntons des rues de plus en plus animées d’où émanent des odeurs de friture.

Les pagodes illuminent notre route comme le chemin de Bouddha. Dans les bistrots, la « Tiger » coule à flot…

Et toujours, ces petits camions ambulants qui transportent de nouveaux bouddhas dans un spectacle musical et visuel assez anachronique.

La soirée se termine dans un restaurant pour occidentaux, où nous dégustons des plats typiques  selon la formule magique birmane « c’est joli, c’est local, c’est pas cher »…

Nous nous amusons presque plus des attitudes pré conçues d’un groupe de touristes Nouvelles Frontières que du spectacle présenté, bien que la prestation soit divertissante, tant par la richesse des costumes que par la prouesse des danseurs… à chacun son divertissement !

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Conditionné par le muslim de la mosquée voisine, notre départ est efficace et sans regrets.

Dans les prévisions, rien de très franchement sportif. Cependant, les trajets en bus demandent parfois plus de patience et d’énergie que deux heures de promenade en terrain facile.

Quelques arrêts en cours de route nous aident à découvrir le savoir-faire et l’histoire birmane : atelier d’argenterie et de bijouterie, une pagode en forme de sein (selon une  légende, un riche et célèbre Birman aurait pris pour modèle le sein de sa bien-aimée avant d’édifier ce bâtiment), ainsi qu’un sanctuaire monastique bien étrange par le choix de son architecture et de sa décoration.

Entre la crème chantilly et le gâteau meringué ou un village Disney, l’une des pagodes nous séduit par sa singulière bibliothèque de Bouddhas.

Du sol au plafond, c’est une véritable armée bouddhiste qui se cache dans ces petites niches. On pourrait presque chercher les différences ou jouer au jeu des 7 familles, tellement les murs sont couverts de ces petits êtres finement sculptés. Depuis l’entrée, nous apercevons un gigantesque Bouddha couché sur la colline située à quelques kilomètres de là.

Quel Birman peut encore croire aux apparitions divines ? En ce qui nous concerne, nous nous régalons des paysages qui défilent autour de nous. Peu à peu, la végétation est devenue plus basse et aride. Sur ces grands plateaux champêtres, les paysans cultivent haricots et autres légumes secs, mais aussi du coton. Ils récoltent la sève des palmiers à sucre, de hauts arbres qui dominent avec aisance la végétation.

Dans cette région où la route mène à la frontière indienne existe une importante réserve forestière qui fournit le pays et ses voisins pour leurs besoins en teck.

La vie de la campagne nous distrait : ici, des processions de zébus, des rencontres avec les écoliers à vélo et là, soudain, le premier et unique éléphant depuis le début de notre itinérance.

C’est encore une fois le signe que la fête de la pagode la plus proche vient de se terminer. Située dans la division de Sagaing, cette petite ville à la réputation typiquement birmane, voici Monywa où nous arrivons tranquillement en début d’après-midi.

Par la lecture du seul Lonely Planet, j’apprends que notre hôtel était anciennement tenu par l’Etat. Même si rien n’en paraît, cette paisible bourgade serait le théâtre d’opérations de travail forcé dirigées par l’Etat, dont un centre d’extraction et de négoce en pierres précieuses.

Sachant que Monywa ne possède que très peu d’infrastructures, le touriste lambda ne verra que la multitude de vélos garés près de la pagode où petits et grands se précipitent joyeusement.

Cependant, après avoir passé la rivière Chindwin, nous traversons un village complètement atypique qui vit de l’extraction du sodium de cuivre dans une grande précarité sanitaire. Sur un terrain mi sablonneux mi marécageux, une terre ocre et chimique, ils ont construit quelques vulnérables maisons de bambou. Devant cette misère, nous nous sentons ridiculement petits…

Notre itinéraire nous conduit aux grottes de Hpo Wuin Daung, un sanctuaire de statues, de petites sculptures de bois taillées dans le grès, dont les peintures rupestres datent du XVII-XVIIIième siècle.

Réparties sur toute la colline investie par des singes, la vue panoramique nous offre une superbe lumière de fin de journée aux tons roses et violacés. Les derniers rayons de soleil se couchent sur des palmeraies à perte de vue, dans le silence d’une campagne qui s’éteint peu à peu.

Avant le dîner, nous nous autorisons à une balade festive en nocturne dans la foire, sous les yeux amusés des Birmans.

Tant charmés par le sourire craquant des tous petits sur leurs chaises volantes que impressionnés par le spectacle des garçons qui grimpent et sautent d’une main de nacelle en nacelle pour activer la grande roue avant de se jeter au sol, nous sommes entraînés au cœur de la foule, partageant ainsi un peu plus intimement les joies locales.

Dans le public, des moinillons ou des joueurs, des ados complices et des jeunes filles gracieuses qui vendent beignets et bonbons.

Lorsque le magicien – un homme au crâne rasé et aux lunettes sombres si l’on en croit les affiches, vend son spectacle par haut-parleur –  notre prestation peu attendue fait l’attraction générale… Pas toujours simple d’assumer la vie d’artiste avec autant de succès !

Prêts au départ, nous précédons les autres groupes sur la route. Devant nous, à venir, quelques heures de secousse. Longue et pénible, la route est tantôt bordée de rizières et de palmiers, tantôt d’une végétation plus sèche.

Les écoliers sillonnent celle-ci tranquillement dans une parfaite plénitude. A l’inverse, les paysans qui participent aux travaux de voirie quand l’activité dans les champs est terminée, en y laissant probablement leur santé.

Avec la même délicatesse qu’un céramiste, les femmes pas même protégées contre les vapeurs, portent le goudron à la main en réalisant de petits tas, comme on déplace une dame ou une tour sur un jeu d’échecs.

Au Vietnam, les conditions de travail n’enfreignent pas autant les droits humains. Mais que font les syndicats ? Et surtout l’Etat ? Et les Organisations Internationales ?

L’arrivée tant attendue à Pakkoku plus tôt que prévu nous laisse finalement le temps pour nous imprégner de l’ambiance de cette petite ville côtière.

Partagée par de larges allées ombragées au fond desquelles se cachent les maisons construites à l’écart du bord de route, Pakkoku délivre à premier abord une impression de calme et de prospérité à la fois.

Si une poignée de marchands nous propose ses spécialités locales, couvertures à carreaux en laine ou en coton et bois de thanaka, la petite quantité de commerces prouve que le tourisme a encore épargné cette bourgade.

L’état et la simplicité du débarcadère ne fait qu’affirmer notre pensée ; Pakkoku reste une agglomération sans attrait touristique particulier ; elle ne constitue qu’une étape pour les routards en transit pour Bagan.

La traversée avec la compagnie locale trouve un succès général auprès de chacun. Contrairement aux petits bus locaux, notre embarcation contient peu de passagers, mais tout juste assez pour nous divertir.

Si la longueur du fleuve du fleuve nous effraie moins que la descente de l’Ardèche en kayak, la navigation demande une certaine expérience. Suivant les saisons ou les jours, le niveau de l’eau peut varier extrêmement, jusqu’à découvrir de nouveaux bancs de sable.

Sans jumelles, il est difficile d’observer la vie sur les rives, ni même l’activité de pêche, tant le fleuve est vaste. Aussi, nous nous laissons distraire par les sourires ou les jeux des enfants, avec ce soulagement d’être transportés par un doux courant bien plus reposant que les routes usées de la campagne.

Comme à Pakkoku, le port de Nyaung U se réduit à une simple rive sablée où les bateaux aux fonds plats accostent au milieu des baigneurs. La toilette est une tradition familiale qui ne requiert ni intimité ni gestes pudiques ; un longwy suffit à se protéger des regards les plus curieux ou soutenus.

Après les premiers pas sur le sol ensablé de l’embarcadère fort populaire, nous embarquons dans un bus 4 étoiles (suite à un intermède logistique non désiré) pour un tout autre paradis : le Twande Hôtel. Situé au cœur du vieux Bagan, ce petit havre de paix planté au bord du fleuve Irrawady nous offre un confort et un calme absolus.

Dans un jardin fleuri et ombragé, tous les plaisirs du luxe sont réunis pour des vacances de rêve : bar-resto avec transats le long du fleuve, boutique de souvenirs sophistiquées et piscine solarium tout en teck où de jeunes moineaux sirotent le cocktail maison. Autant de conditions de voyage qui frôlent un tout autre « extrême » que la version vendue dans les catalogues.

Malgré ces tentations de plaisirs mondains, voici à présent celle de découvrir le site archéologique… Sur une superficie de 40 kilomètres carrés, Bagan a malheureusement déjà perdu la moitié de son patrimoine. Heureusement, pour satisfaire notre soif de curiosité culturelle et historique, il ne reste pas moins de 2200 pagodes et temples à découvrir, à explorer ou tout simplement à parcourir.

C’est au pas de trot que nous nous promenons pour la première fois parmi tous ces stupas disséminés à travers la végétation dense et cultivée.

Une sublime lumière de fin de journée nous offre les plus beaux contrastes, depuis l’intensité du vert des rizières jusqu’au rouge ocre du grès.

Hélas, le temps nous manque pour rejoindre l’une des plus hautes pagodes dont nous gravissons les hautes marches jusqu’à la terrasse supérieure, le point de vue idéal pour admirer le délicieux coucher du soleil.

La lumière déjà en fin de course et bien diminuée laisse sa place aux reflets rosés ; un spectacle déjà immortalisé grand nombre de fois sur les cartes postales ou les beaux livres…

Pourtant, difficile de rester indemne devant une telle beauté : quoi de plus beau qu’un panorama à 360° sur l’un des plus extraordinaires sites de la planète ?

Apaisés par ces belles images, nous gardons la tête dans les nuages le temps d’un gourmand dîner sous les arbres.

La nuit est sombre, mais la nature en éveil ; le ciel étoilé complète nos rêves de grands voyages et nous tracent le chemin vers de nouvelles évasions imaginaires qui deviendront peut-être un jour réalité… qui sait ?

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Petite immersion dans la culture locale avant de découvrir en plein jour le fabuleux site archéologique rénové par l’UNESCO. Fort pittoresque, le marché quotidien et local nous offrent une large palette de parfums et de couleurs particulièrement vivantes.

Une sublime lumière matinale confère à cette flânerie une ambiance extrêmement gaie et agitée au milieu des étalages de verdure, de viandes, de poissons séchés et des dizaines de produits exotiques.

Parmi les clientes, des femmes d’âge mûr semblent errer à travers les allées, complètement et seulement préoccupées à fumer des joints coniques, tout droit sortis de l’époque « seventies ».

Sous les halles colorées au bleu électrique, les marchandes attendent les patients dans une attitude sereine et nonchalante.

Tous les délices et la magie propres aux marchés locaux sont réunis pour nous distraire joyeusement ; de véritables lieux de vie où il fait bon flâner…

L’exploration du site de Bagan bien que davantage figée dans l’histoire, n’en sera pas moins vivante… à commencer par les incontournables dont la paya Schwezigon… Edifiée pour abriter l’une des 4 répliques de la dent de Bouddha, cette pagode est considérée comme le modèle de tous les stupas bâtis par la suite dans le pays.

Face aux escaliers qui mènent aux terrasses, situées aux 4 points cardinaux, 4 sanctuaires abritent chacun un bouddha debout de 4 mètres de hauteur. Ces statues de bronze fondées en 1102 sont les plus grandes retrouvées sur ce site.

Schwezigon renferme également les 37 nats prébouddhiques, les premiers à avoir été adoptés par la royauté Bamar.

En seconde place, le Phato Amanda, l’un des temples les mieux conservés et les plus vénérés construit en 1105. Les porches donnent à la structure une forme de croix grecque et les voûtes rappellent la période romane. Dans plus de 500 niches, de petites sculptures illustrent des scènes des jataka, récits des vies passées de Bouddha. Les 4 statuts de 950 mètres de hauteur, tout en teck, présentent une importante impression d’optique ou volonté de l’architecte.

Tandis que le Bouddha semble triste lorsque l’on se tient au pied des offrandes, son visage paraît plus joyeux dès lors que l’on s’éloigne.

Hélas, nous découvrons ce trésor avec une lumière très faible, une panne d’électricité nous ayant plongés dans la quasi obscurité et retenus un long moment dans l’allée centrale bordée d’échoppes.

Cela à la plus grande joie des marchands et d’un étonnant photographe fort doué que nous mettons à contribution pour élucider la mystérieuse panne momentanée d’un appareil photo.

Après un déjeuner local fort traditionnel, grand buffet composé de curry de viandes de poissons et de légumes, ainsi que de condiments plus ou moins épicés, nous poursuivons la visite des 2200 temples et pagodes de Bagan, découvrant le plus ancien, le mieux conservé et tant d’autres encore…

Près du temple hindou Kyaung Nathlaring, construit avant l’arrivée de l’école bouddhique du sud et dédié à Vishnou, les villageois préparent la prochaine fête des lumières ; ils installent déjà les structures des stands de la foire et de la grande scène. Difficile de synchroniser notre circuit pour ne manquer aucune des fêtes.

Après une averse épaisse et brutale, la traversée du site dans les chemins boueux devient un véritable parcours du combattant.

Course contre la montre, le spectacle du coucher de soleil sur Bagan prend des airs de safari… comme si nous étions à l’affût des animaux les plus sauvages et les plus rares, dans un safari réservé aux plus malins, nous jouons d’ingéniosité pour capter les premiers instants magiques et merveilleux, même un jour de nuages épars.

Ce soir, c’est un temple carré et imposant qui, par ses fortifications, ses massifs et ses donjons nous défie de grimper le plus rapidement possible jusqu’aux étages supérieurs. Ou bien nous protéger de l’assaut proche des groupes de touristes suivant.

Déception collective de ne pas voir le ciel se dégager par miracle, suspicion que nous avions réveillé déjà depuis quelques heures, nous nous réveillons une nouvelle fois devant la beauté et la plénitude hors du temps de ce panorama exceptionnel à 360° sur la plaine de Bagan.

Mais, même un vol en ballon au-dessus de ce sanctuaire millénaire a t’il réellement un prix ?

La forteresse plus que centenaire qui nous a permis d’accéder au spectacle du jour a déposé, comme le Petit Poucet sème ses cailloux dans la forêt, des bougies sur chacune des marches qui descendent l’épaisse roche en un escalier brut et étroit jusque la terre ferme.

Nous regagnons notre véhicule juste avant l’averse suivante qui nous épargne du patinage artistique de la boue du véhicule qui s’embourbe.

Dégustant un délicat dîner aux saveurs chinoises, la mousson nous offre l’un de ses derniers caprices. La saison sèche approchant, la saison des pluies disparaît petit à petit.

Malgré tout, dans cette moiteur tropicale, le bruit de l’eau qui tombe à verse berce nos derniers souvenirs et résonne comme un chat qui ronronne auprès du feu. Le bruit de la pluie nourrit ces images palpables d’une Asie authentique et discrète. Il distille des saveurs et des odeurs comme il n’existe nulle part ailleurs.

Même pas l’ombre d’un Européen. Même dans nos illusions, à travers nos récits, réels ou fictifs ou encore dans nos rêves…

En cet instant seulement, la mousson n’est que douceur et délice ; délicate et subtile.

Comble du voyage dit « d’aventure », n’est-ce pas ?

S’offrir un moment de luxe dès le réveil. L’ambition d’ouvrir un débat sans issue sur la valeur du luxe, aux yeux de l’occidental ou du Birman moyen, mais uniquement et simplement traduire ce sentiment de plénitude qui survient à l’instant présent, plus qu’elle soit matérielle ou spirituelle.

S’étendre et se détendre dans une température tiède, au seul murmure de l’eau que l’on déplace. Timidement.

Avec la délicatesse d’une mère qui n’oserait pas réveiller l’enfant. Avec cette impression presque unique au moment où la savoure, d’être seul à  profiter de ce moment de bonheur pur et absolu.

A ce moment précis, on oublie presque l’affluence touristique de la cité millénaire, le va et vient des carrioles autour des stupas, les timides interpellations des enfants qui commercent, laissant l’imagination recréer et redonner vie au passé dans la magie d’un décor sans âge.

Du haut du temple de Bupaya, nous pouvons témoigner que la vie n’est pas un rêve et Bagan pas seulement la scène de coups de théâtre antiques.

Sur le fleuve, les bateaux de pêcheurs se laissent glisser entre les bancs de sable.

Autour des ruines de la cité royale, les officiels inaugurent un nouveau temple. Désolant de construire du neuf quand on investit même pas dans la restauration de ce qui a une histoire et une valeur sans prix.

A travers une étroite fenêtre voûtée, apparaît la silhouette majestueuse d’Ananda. Presque intemporelle. Datant du Xième siècle, une stèle quadrilingue (Bon, Birman, Pali et môn) raconte la vie de Bouddha.

Abeyavadan. L’intrusion dans ce temple gravé de sculptures et de figures indiennes comme Vishnu et Shiva, ne peut avoir lieu sans amuser l’esprit des occidentaux qui font de leur visite une mignonne anecdote.

Ayant pourtant étalé ses marchandises d’objets artisanaux devant l’entrée unique du stupa, la gardienne n’a pas prévu de lampe de poche pour observer les gravures murales. Signe évident que le touriste était susceptible d’approcher.

Nous l’attendons quelques instants avant qu’elle ne revienne avec l’objet tant attendu, ainsi qu’une paire de piles neuves qu’elle déballe devant nous.

Sommes-nous les premiers à assister à la mise en scène ? Arrive t’il que les visiteurs se contentent uniquement d’observer extérieur du temple sans curiosité nécessaire pour les faire rentrer ?

Dans une toute autre mode beaucoup plus contemporaine, la pagode pentagonale Dhama Ya Tika, nous transporte dans les palais princiers de la Cité Interdite

Autour d’elle, un jardin zen arboré de bonzaïs géants, d’où s’échappe un chant d’oiseau (qui reconnaît le chant du rossignol ?). Et où l’on inspire à la plénitude, trouvant son inspiration  dans la culture chinoise avec un total anachronisme.

L’extrémité de la cité survit l’un des derniers villages birmans depuis que l’armée a chassé les derniers habitants du Vieux Bagan durant la répression de la fin des années 80.

Contrairement aux constructions Shan, les maisons plus ou moins larges ne sont pas surélevées sur pilotis. Cependant, le peu de mobilier rustique et rudimentaire ne touche pas le sol.

Sur les chemins sablés qui encadrent le village, les zèbres se croient aussi sacrés que les vaches en Inde. Les femmes les plus âgées fument de larges cônes de tabac et posent pour le touriste qui ne pourra s’empêcher de s’emparer du cliché. Les plus jeunes préfèrent se livrer à une démonstration de tissage. Que reste t’il donc ici de la spontanéité d’un mode de vie rural et authentique ? La pose pour la photo rapporte t’elle davantage que la vente du produit elle-même ? Avec ce triste et nostalgique sentiment de culpabilité, nous abandonnons très vite ce village-musée.

Sous un ciel chargé de nuages lourds et épais, la mousson n’a pas encore tout à fait quitté le pays. L’occasion de suivre le programme au rythme des humeurs et des volontés de chacun.

Lecture, écriture, évasion ou méditation : à nous de profiter du temps qui se présente comme une respiration autonome et personnelle.

Tandis que la pluie a rompu la douce musique qui nous a bercé tout l’après-midi, le meilleure heure pour se faufiler, entre chien et loup, dans le décor balinais de ce bel « hôtel » et bungalows 1ère classe, au pied de l’Irrawaddy, un restaurant sous les acacias, où l’on sert un petit déjeuner à l’occidental.

Piscine et solarium : tout au milieu de ce confort absolu respire la moiteur d’un climat tropical, propre à la fin des moussons.

Dans le silence d’une tiédeur agréable, on n’entend plus que le chant des grillons et le croassement des grenouilles. Et rien d’autre, à part cette sensation de bien-être. Le charme de cette sensation douce et paisible n’est dérangée que par le dîner dans un paradis aussi subtil que préservé.

Images d’un jardin illuminé de 1000 bougies où le raffinement se décline au niveau du service, tout comme des saveurs parfumées de la cuisine exotique et délicate.

Et, tout autour de ce « songe éveillé où ne se côtoient que les plaisirs les plus ultimes, la pluie continue de nous bercer jusqu’au jour suivant.

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5h30. Le brunch n’attend pas midi pour être servi. La pluie a oublié de s’arrêter durant la nuit. Dans un son discontinu, elle continue de déverser des seaux d’eau entiers.

Personne ne s’attarde à l’extérieur. Tout le monde se hâte de trouver un abri. Sur le chemin qui mène à l’aéroport, seuls les religieux répètent leurs gestes quotidiens.

Toujours en file indienne, abritées sous leurs ombrelles, elles circulent dans les premières lueurs du matin pour faire l’aumône ou déposer leurs offrandes au pied des autels

Dans le silence d’une ville encore endormie qui s’apprête à s’éveiller d’un moment à l’autre. La tradition bouddhiste se perpétue. Certains rituels semblent immuables, préservés par la force du sacré qui rythme la vie d’un peuple entier.

En quelques coups d’ailes, l’avion nous transporte dans un autre décor où un soleil radieux brille dans la plaine tropicale.

Et trépidante. Rangoon. Nous quittons rapidement le modeste aéroport de la capitale birmane pour nous poser quelques kilomètres plus loin.

A Bago. Animation maximale autour du marché. Bémos, rickshaws ou triporteurs se faufilent dans cette circulation anarchique et joyeuse, au son des klaxons de toutes les générations confondues.

Les bus auraient bien besoin d’être rafraîchis. Les moteurs toussent, la poussière vole. Qui s’inquiète du contrôle technique de son véhicule ? Les nouveaux heureux propriétaires n’échappent pas à la bénédiction du carrossier du coin. Longue vie sur la route et le bonheur sur ton chemin tu croiseras.

Très fleuri et souriant, le marché nous offre ses couleurs et parfums en guise de bienvenue. Qui dit absence de fêtes aux alentours promet de l’animation à profusion ; un heureux bain de foule en somme !

Marché birman 2 (octobre 2005)

Marché birman (octobre 2005)

On pourrait contempler ce va et vient permanent durant des heures entières sans jamais se lasser…

Un spectacle extrêmement vivant. Celui de la vie tout simplement, naturel et discontinu. En mouvement permanent. Ajoutée à la contemplation, l’ultime plaisir d’un verre de thé sucré sous le regard amusé de nos hôtes.

Des commerçants et des passants. Plus loin, sur la route, le scénario change et laisse place à une autre scène. Sous un pont, au loin, la vitesse extrêmement lente du bus nous laisse apercevoir l’attroupement sur le quai d’une gare.

Prochaine halte au pied d’une statue de bouddha, haute de plus de 20 mètres. Lorsque l’on en fait le tour, on s’aperçoit que ce sont 4 statues qui ont été placées dos à dos. 4 bouddhas en une seule et imposante construction qui s’élance dans le ciel sans perdre du regard ce qui se passe sur la terre.

Les religieux viennent y déposer des offrandes à ses pieds (grande pointure, ce bouddha…). A quelques mètres de là, d’adorables petites filles jouent à l’élastique, dans la fraîcheur des hauts palmiers. A proximité des lieux saints, un esprit bon enfant régit le quotidien des adultes, comme des enfants sous des airs d’insouciance et de bien-être.

Pourtant, ces tableaux heureux cachent bien des sacrifices et des injustices.

Pour le déjeuner, nous nous arrêtons sur le bord de la route dans un restaurant fort branché et animé. Cheveux longs et allure de cow-boys, le grand (étonnamment démesuré) patron nous servira quelques « anti-pasti » birmans à déguster sur un air de country asiatique.

Complètement décalé. Derrière sa carrure massive, et sa démarche un brin nonchalante, ce grand bonhomme sort tout droit d’un western ; un « Joe l’Indien » à la sauce tibétain qui obtient en retour notre sympathie.

Et nous nous souvenons tous de ce moment unique bien qu’on n’en ait jamais douté.

Quelques mètres plus loin, à l’écart de la route, un village de potiers nous réserve un accueil aussi spontané, sincère.

Sans mise en scène ni chichis. Entre la chaleur d’une tiède après-midi et la température dégagée par le four, il parait insensé de rester glacial… ou du moins, complètement hors-jeu !

Sous une spacieuse halle qui brûle durant des jours, un bouddha couché de 16 mètres de hauteur et 55 mètres de long tout de céramique décoré, fait la sieste depuis plusieurs décennies.

Comme à Rangoon, c’est cette même sincérité qui émane de cet endroit sacré. On s’y prélasse à toute heure, en attendant que la moiteur extérieure devienne plus confortable. Dans le village voisin situé à peine en retrait de la circulation, c’est ce même sentiment de calme qui nous rend si légers.

Notre passage distrait les jeunes élèves d’une école sans fenêtres ni électricité.

Ici, tout respire la campagne. Les rares villageois cherchent l’ombre des larges arbres, sans doute centenaires.

Les femmes étendent le linge. Les plus petits jouent dans les allées qui bordent des maisons de bambou fort cossues.

Au cœur d’une végétation verte et luxuriante. Un quartier résidentiel prospère, bien que rudimentaire.

L’itinérance de cette agréable journée ensoleillée, loin des rassemblements touristiques, se poursuit dans une ambiance tout autant inattendue.

Ayant choisir pour emblème deux cigognes selon une légende centenaire, la paya Hintha Gon nous invite à découvrir une toute autre animation. Une musique rythmée résonne jusqu’en bas de hauts escaliers couverts, que nous nous dépêchons d’emprunter.

Simple geste de curiosité ou attirance inexpliquée ? Un sentiment mystique émane de ce décor religieux et tout d’or vêtu.

C’est un jour de fête très particulier qui surprend et intrigue toute âme occidentale 100% athée.

Dirigée par des médiums travestis, cette danse rituelle permet aux médiums d’entrer en communication avec les nats (les esprits).

Hommes et femmes, parés de costumes simples et colorés avalent du whisky cul sec à pleine gorgée, jusqu’à entrer en transe, complètement possédés, devant un étalage d’offrandes fraîchement disposées, sur les rythmes qui jouent en live derrière des paravents.

Ils répètent des mouvements dictés par ces personnages maquillés… Etonnante mise en scène qui nous laisse médusés.

Silencieux, nous contemplons le panorama offert depuis la partie supérieure de la pagode : une superbe vue dégagée à 360° qui s’ouvre sur une palmeraie, luxuriante et généreuse.

Seules les aiguilles dorées qui pointent vers le ciel percent à travers la végétation, dense et impénétrable.

Le jour descend au fur et à mesure que nous rapprochons de la capitale… Nous arrivons à Rangoon entre chien et loup, accompagnés par le croassement des corbeaux, une mélodie à couper le souffle dans un tel décor.

Mise en scène signée Alfred Hitchcock. L’esprit bon enfant de la campagne s’est bel et bien dissipé. Nous nous offrons ce plaisir branché et populaire de goûter le canard laqué sur le bord du lac, laissant place à une toute réelle modernité.

Habillées à la dernière mode inspirée des créateurs occidentaux, un groupe de jeunes filles se prend en photo devant l’enseigne de cette illustre cantine.

Pour notre part, c’est dans l’intimité d’une chambre de l’hôtel que nous trinquerons autour d’un dernier verre de rhum.

Tandis que le club de l’hôtel joue la carte du « piano-bar », chanteuse sexy et fauteuils de cuir et cocktails alcoolisés, le music-hall faussement nostalgique des cabarets new-yorkais nous séduit peu.

Le décalage est trop brutal. La comédie n’a pas lieu d’être. L’authenticité sonne tellement plus juste.

Le spectacle se termine, le public attend que le rideau tombe, prêt à applaudir.

Le jour qui se lève voit le jour autrement aujourd’hui, différemment que tous les matins des précédents jours. Comme si une force invisible le retenait ailleurs, quelque part hors du temps.

Avec cet inquiétant sentiment de se trouver hors du présent, d’avoir quitté la réalité. Pourtant, un simple clin d’œil à la fenêtre suffit pour se rendre compte qu’à l’extérieur de cette chambre aseptisée tout respire la normalité et ce, de façon ininterrompue.

Le klaxon des bémos, les interpellations des marchands, la quête des nonnes, ou des moines, le sourire des enfants. Le soleil brille et la rue chante.

Mais, étonnement, l’âme a ce don si mystérieux de se détacher soudain du corps.

Outre cette sensation de moiteur permanente, rien ou peu de choses nous aident à croire que nous sommes encore là. Cette légèreté, cette insouciance mêlée à la soif de découverte s’est évaporée, dissipée. Dans le passé, dans le souvenir. Comme une éclipse, le voile imperceptible a masqué pour de bon ce sentiment des émotions magiques pour ne laisser qu’une sorte de malaise, un vague à l’âme particulier et regrettable.

Nos personnalités d’ultra cérébraux, partagées par le cartésianisme et la logique occidentale reprend le dessus. Le personnage que nous avons incarné ces deux dernières semaines n’est plus qu’une ombre ou un visiteur imaginaire.

Une simple invention. L’inconscience s’impose dans un réel que nous ne partageons déjà plus, pour mieux nous ramener à une toute autre conscience.

Aujourd’hui, commence la phase de transition. Le compte à rebours a été mis en marche. Moins de 12 heures nous séparent dure du retour.

Ainsi, la visite matinale et accélérée du parc situé juste à côté du lac Kandawgyi, et réputé pour son ambiance aussi populaire que familiale, prend des allures de parc de loisirs laissé à l’abandon.

Les enfants ont quitté l’espace de jeux de plein air. Les nombreux restaurants et gargotes qui bordent la vaste étendue d’eau douce et tiède n’ont pas encore déballé leurs tables et chaises, ni même ouvert leur rideau de fer.

Seule Schewedagon, toujours aussi pure et intouchable, nous illumine de son reflet qui miroite dans l’étendue plate et paisible du lac.

Sans transition, un saut de puce nous dépose dans un atelier de verrerie réputé pour avoir réalisé les yeux du regard magnétique du bouddha couché de la paya Chaukhtatgyi, mais également pour l’authenticité de son savoir-faire.

Entreprise familiale depuis les années 50, c’est en Europe que les fondateurs ont appris la technique du verre soufflé. Outre les commandes pour le patrimoine religieux ou les besoins touristiques et autres exportations commerciales ce qui plait ce n’est pas tant la réussite d’une industrie artisanale, mais davantage le cadre extraordinaire de ses ateliers.

A une centaine de mètres seulement des axes principaux de Rangoon, à peine franchie l’allée, c’est une végétation dense et exubérante qui nous accueille dans un immense désordre coloré de verres cassés. Des objets en verre disposés en un amoncellement hasardeux et désordonné.

La moiteur ambiante fait penser tantôt à une serre, où l’on cultiverait des fleurs délicates et figées, tantôt à une véritable jungle infestée de moustiques. Pourtant, dans cette véritable décharge de verre multicolore ensevelie par la végétation, une équipe de professionnels vous aide à dénicher la perle rare…

Loin de cette fausse clandestinité, l’animosité métissée du grand marché de Bogyoke Aung San. Hélas, nous avons manqué les étalages parfumés du marché aux épices. Aussi, nous nous distrayons beaucoup plus rapidement des boutiques et souvenirs destinés aux derniers achats avant l’ultime départ et des bijouteries.

Le quartier chinois situé quelques rues plus est un étonnant mélange de modernité et de passé.

Les enseignes publicitaires extravagantes enjambent les balcons en fer forgé, derniers vestiges de la colonisation.

Les trottoirs alternent boutiques de HiFi et échoppes de bric et de broc.

Tout près, le quartier hindou en deuil, suite aux attentats de Delhi et aux inondations de Madras.

Petit à petit, le tumulte de la rue s’efface, les bruits s’estompent. Une dernière sieste dans l’air climatisé de l’hôtel nous sépare en douceur de la vie trépidante de Rangoon.

La piscine est déserte, la chambre moite et sombre, trop spacieuse. Et inanimée.

Heureusement, Zani a choisi que l’on se quitte autour d’une tasse de thé sucré en bordure du lac Inya.

Autour de nous, les étudiants se promènent en riant, les adolescents s’enlacent, les familles déjeunent des grillades au barbecue. Détente et bonne humeur sourient aux passants. C’est dimanche et il fait si bon s’amuser !

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Lorsque je tourne la dernière page du fabuleux récit de Joseph Kessel, La Vallée des Rubis, la nuit est déjà tombée sur Rangoon. Et nous atterrissons dans un tout autre continent. Loin, très loin de la jungle birmane.

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